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de la récidive. Le ministre de la justice, M. Rouher, a vivement et habilement réfuté M. Favre. Nous devons remarquer une fois de plus, à ce propos, que le ministère ne s’épargne en aucune occasion pour la défense de la société, qu’il lutte avec énergie, avec talent, et que ce n’est certes point au gouvernement qu’il faut s’en prendre de l’atonie qui paralyse, dit-on, la puissance du parti modéré.

Le vote le plus important qui ait signalé la seconde délibération sur la loi de déportation est le vote qui, sur la proposition de M. Barrot, déclare que la déportation, telle qu’elle est réglée par la loi nouvelle, n’est pas applicable à ceux qui auront été condamnés avant la promulgation de cette loi. Chacun voit quelle est la portée de cette déclaration et l’importance qui s’y attache. Il y a des hommes qui, dès le lendemain de la révolution de février, quand nous allions droit au socialisme, ont cru que nous n’y allions pas assez vite, et qui ont voulu hâter la marche par l’aiguillon de l’émeute et de la guerre civile. Ils ont été vaincus, ils ont été condamnés à la déportation mais comme, au moment où la loi les a frappés, il n’y avait pas encore de lieu de déportation, la loi avait déclaré que tout condamné à la déportation serait condamné par le fait à la détention perpétuelle. C’est ce fait légal qu’il fallait changer, et il fallait le changer à l’égard de certains hommes. C’était donc une loi en quelque sorte personnelle et nominative qu’il fallait faire. À prendre le titre de la condamnation des accusés de Bourges et de Versailles, ce sont, quelques-uns du moins, des déportés. En les déportant réellement, on ne porte donc aucune atteinte à la lettre de leur condamnation ; mais, à prendre le fait légal de cette condamnation, ce sont des détenus. Fallait-il par un acte de la volonté législative, transformer des détenus en déportés ? Il y avait lieu d’avoir des scrupules, et M. Odilon Barrot s’est rendu l’interprète de ces scrupules : L’assemblée a décidé que, pour les condamnés d’avant la loi, la détention ne serait pas changée en déportation. Cela laisse en France Barbès, Raspail et Blanqui ; mais, comme cette disposition ne pourra pas profiter aux contumaces, cela laisse à la déportation toute son efficacité contre ceux qui s’appellent les exilés de Londres ou de Genève.

Ce vote a divisé le parti modéré. M. de Vatimesnil et M. Baroche ont soutenu comme jurisconsultes l’opinion contraire à celle de M. Barrot, et ils ont prouvé d’une manière incontestable, selon nous, que la détention pouvait sans injustice être changée en déportation, quand les condamnés avaient été en droit condamnés à la déportation. Mais quoi ? il fallait’ toujours prononcer sur des personnes, ce qui n’est pas le fait des législateurs ; et c’est contre ce scrupule que la science des jurisconsultes est venue se briser. Rendons cette justice à M. Baroche, qu’il a su dans cette question être à la fois ministre et jurisconsulte. Jurisconsulte, il a exprimé son avis ; ministre, il a demandé à la chambre d’exprimer nettement aussi sa volonté, ne cachant pas que si la décision était laissée au gouvernement, comme le proposaient quelques personnes, le ministre changerait la détention en déportation, parce qu’il croyait que c’était le droit. Devant cette volonté énergique, l’assemblée a été forcée d’avoir une volonté, et de cette manière au moins le parti modéré dans l’assemblée, ne pourra pas s’en prendre au gouvernement, si la mesure indulgente a été préférée à la mesure régulière.