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coups portés à l’industrie. Aussi, malgré les progrès de la science et des lumières, la plaie de la misère se fait-elle sentir plus poignante. « Souvent, dit M. Cordier l’ingénieur, j’ai traversé, dans différens départemens, vingt lieues carrées sans trouver un canal, une route, une manufacture ou même un domaine quelconque. Le pays entier semblait un désert ou un lieu d’exil abandonné à des malheureux dont les intérêts et les besoins sont également mal compris, et dont la détresse s’accroît constamment par la cherté des frais de transport et le bas prix de leurs produits. » — « L’état malheureux des classes ouvrières de France n’a pas de meilleure preuve, dit M. Newman, consul d’Angleterre, dans son rapport adressé au commissaire anglais sur les lois des pauvres, que la résolution prise récemment par les propriétaires de manufactures et les fermiers bretons de n’employer que les ouvriers qui consentent à laisser entre les mains du patron une somme hebdomadaire pour la nourriture de leurs femmes et de leurs enfans. En général, ce sont des gens vifs et actifs qui font de bons militaires, mais dont la force morale est nulle ; presque tous les petits fermiers s’en reviennent de la foire à moitié gris, et souvent l’argent de la semaine est dépensé le lundi. » — « On sait, dit un autre rapport, que l’abus du pouvoir paternel affaiblit la population dans le département du Nord. Un père veut se servir de son enfant pour gagner quelques centimes de plus. Il l’envoie à l’école et ne l’y laisse que jusqu’au moment précis où ses faibles et petits bras peuvent devenir utiles au père lui-même. Cet enfant, exténué avant d’être majeur, exècre, on doit le penser, le père qui n’a pas eu d’entrailles pour lui. »

Voilà ce que la race la plus active, la plus ingénieuse et la plus généreuse de l’Europe a fait de la terre que Dieu lui a donnée. Ce n’est pas elle qu’il faut accuser, c’est son passé. La tradition lui fait défaut. Il serait inique de ne pas reconnaître les améliorations notables et les efforts vaillamment tentés par le génie français, depuis soixante années, surtout dans la sphère des intérêts matériels et de l’industrie. Il est également évident que l’on n’est pas parvenu à vaincre le vieil esprit kelte, si prompt à la guerre et aux arts, si spirituellement désordonné, impuissant à se gouverner comme à fonder, et qui suscite la guerre actuelle, guerre redoutable s’il en fut jamais, du travail contre le capital. Aux États-Unis, la tradition contraire a produit des effets contraires. Marcher dans sa force, se fier à soi, ne rien attendre que de ses égaux, ne rien demander au gouvernement, secourir le voisin et être secouru de lui, c’est le grand secret ; ce sont des habitudes tout anglaises qui, sous forme aristocratique, ont fait la prospérité de la Grande-Bretagne, et que l’Amérique porte à leur dernière limite. De là espoir universel, industrie générale, désir ardent de faire avancer la race. Nées de l’élément chrétien mêlé à l’élément teutonique, ces trois forces surabondent