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de terribles représailles. La première époque de la civilisation américaine est pleine de ses cruautés ; on y Voit apparaître comme types principaux le fameux Increase Mather et son fils, deux figures plus froides que celle de Calvin, plus sanglantes que celle de Knox. Ces premiers colons, les Smith, les Eliot, les Williams, les Mather, grossiers et violens, farouches et austères, d’une implacable dureté, poussaient la crédulité et le fanatisme jusqu’à la dernière barbarie. Honnêtes d’ailleurs, sérieux et sincères, ils étaient surtout virils ; ils savaient se battre à l’occasion contre les sauvages, le froid, la faim, la détresse, — même contre le diable ; ils avaient pour ce dernier combat un goût tout particulier. S’ils ne rencontraient pas le démon sur leur route, ils le cherchaient résolûment, et se donnaient trop souvent le plaisir de brûler des sorcières. Cependant ils n’ont pas détruit la société américaine ; ils l’ont fondée. C’est que le fanatisme, exagération de la foi publique, n’en est pas le poison : astringent formidable, il prouve la vitalité sociale, dont il est l’excès et l’abus.

Les anciens registres municipaux, de quelques bourgades du Massachusets, entre 1640 et 1680, ont été imprimés récemment. « Jeanne Edwards sera mise en prison pour avoir serré la main de Jonathan Williams. — Le petit Jonson recevra trente coups de fouet et sera mis au pain et à l’eau, pour avoir dormi dans le temple. — Mary Merryvale fera pénitence publique, pieds nus, pour avoir prononcé le nom de Dieu sans respect. » Quant aux histoires de sorcières, elles abondent dans les annales de la première phase américaine, et rappellent tout-à-fait l’histoire d’Urbain Grandier et des possédées de Loudun. « Entre 1688 et 1692, dit un chroniqueur, nous eûmes à Boston un exemple singulier et formidable des ruses du démon. Dans une famille respectable, quatre jeunes enfans, dont le plus âgé était une fille de treize ans et le plus jeune un garçon deneuf ans, furent saisis d’une attaque violente de convulsions démoniaques, qui avaient tous les symptômes signalés par les meilleurs auteurs sur cette matière. Ces enfans se plaignaient d’être mordus, pincés et torturés par des êtres invisibles. Ils aboyaient comme des chiens et miaulaient comme des chats. Le père de famille effrayé alla chercher le grand médecin des ames, le célèbre docteur Oakes, théologien expérimenté. Celui-ci déclara que les enfans étaient possédés. Une vieille Irlandaise, servante dans la maison, fut dénoncée comme sorcière par la fille aînée, qui avait eu des querelles avec cette femme, et qui l’accusa de lui avoir jeté un sort ; les trois autres enfans confirmèrent la déclaration de leur aînée. Les quatre ministres évangéliques de Boston et celui de Charleston, qu’on envoya chercher tout exprès, se réunirent dans la maison du père et y firent de longues prières communes, au moyen desquelles le plus jeune garçon se trouva soulagé. Les trois autres persistèrent, et