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toute la vallée du Mississipi, et depuis les lacs supérieurs jusqu’à la Sierra Nevada, la nouvelle réaction se manifeste ; c’est l’impulsion entreprenante, guerrière et conquérante : la vieille foi, dans son rigorisme, a laissé des traces éparses ; l’activité a pris un degré d’énergie extraordinaire ; la charité et l’accord mutuel se sont métamorphosés peu à peu en patriotisme ; l’amour de la gloire et de la guerre éclate d’une manière violente. Néanmoins, comme le passé vit toujours dans le présent, le vieux germe puritain n’est pas mort en Amérique.

Les neuf dixièmes des citoyens des États-Unis sont encore protestans. Les états du nord conservent une partie de la sève puritaine ; ceux du sud penchent vers la tolérance, vers le presbytéranisme ou le catholicisme, dont l’activité se concentre dans la féconde et magnifique vallée du Mississipi. Tout le nord, surtout les campagnes où les Mather ont dominé, admet difficilement l’élément pacifique et tolérant du protestantisme modifié qui s’introduit en général dans les villes du sud et de l’ouest, protégé et favorisé par les hommes instruits, les capitalistes, les whigs, que l’on peut aussi appeler modérés ou conservateurs. L’élément nouveau d’entreprise guerrière et d’audace conquérante, spécial aux démocrates, aux gens des campagnes et aux ouvriers, à la masse active, véhémente, avide de remplacer le présent par l’avenir, se confond aisément et se mêle volontiers avec le vieil élément puritain. De là cette bizarre entreprise des mormons, qui cherchent à reconstituer dans les Montagnes Rocheuses l’unité du pouvoir patriarcal biblique ; de là aussi cette secte populaire des milleristes, ou fanatiques de Miller, millénaires qui viennent de se réfugier à leur tour dans les Montagnes Blanches, où M. Lyell les a rencontrés[1].

La folie millérite, comme la folie mormonite, est un des vestiges flagrans de cette alliance du génie populaire actuel avec le vieux levain puritain. Le prophète Miller annonçait la fin du monde pour le 23 octobre 1844 ; l’événement ayant prouvé la fausseté de ses calculs, il remit au 23 octobre 1847, date précise, l’accomplissement de la catastrophe. Les masses populaires du nord furent ébranlées, et ce mouvement fanatique s’étendit jusqu’à Philadelphie. Fermiers et cultivateurs négligèrent les travaux des champs ; il fallut que des officiers publics nommés à cet effet s’occupassent de faire rentrer les grains. « J’espère, disaient les fermiers en acquittant leurs redevances, que ce sera la dernière fois. » Concorde, petite ville du New-Hampshire, fut entraînée tout entière dans le mouvement. Entre Plymouth et Boston, beaucoup de propriétaires vendirent leurs maisons et leurs domaines et concoururent de leurs deniers à la construction du tabernacle où devaient se réunir les fidèles, vêtus de robes blanches pour monter

  1. J. Lyell, Travels to the United States, etc.