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l’espèce américaine qui se pressent dans les limites du continent, ayant non-seulement des mœurs et des habitudes diverses, mais des intérêts en conflit perpétuel, veulent une législation et une formule politique d’une complexité égale à cette hostilité de nuances. Ce n’est pas par un travail ingénieux, par un habile agencement des rouages politiques, que les engrenages s’opèrent et que tant de petites sphères ennemies décrivent paisiblement leurs ellipses respectives sans se heurter et sans se briser. L’égalité de l’homme à l’homme une fois admise, et par conséquent la guerre des intérêts devenue légitime, il est clair que la société ne serait plus qu’un carnage, si les mœurs que nous avons signalées, si les traditions de la ruche calviniste et des laborieuses abeilles ne prévenaient la destruction universelle, résultat inévitable de la lutte de tant d’élémens contraires. Aujourd’hui, trente et un états se meuvent librement, chacun dans sa sphère, enfermés tous dans la sphère commune, et, s’il y a des chocs ou des frottemens pénibles entre ces corps, le développement de la prospérité publique et de la grandeur nationale ne cesse pas de s’effectuer.

Par quel moyen ce but difficile a-t-il été atteint ? Est-ce par le système à priori, l’unité métaphysique, la méthode philosophique ? A-t-on cadastré les états régulièrement ? A-t-on fait des révolutions partielles ou générales ? Le vieux système féodal a-t-il été violemment brisé ? — Pas le moins du monde. Les Américains ont effacé le mot roi et le mot vice-roi, voilà tout. Le système électoral est le même ; les états se gouvernent selon leurs anciennes lois ; on n’a pas prétendu passer sur les diversités de caractères et de mœurs le rouleau des jardins de Versailles. On a développé au lieu d’étouffer. De même que les corporations, les villes anséatiques et les divers groupes du moyen-âge composant le corps social se régissaient d’après des lois spéciales que le voisin n’avait pas le droit de changer, les trente et un états ont leur constitution propre, conforme non-seulement aux besoins du jour, mais se prêtant avec élasticité aux acquisitions de l’avenir. Il y a donc trente et un systèmes politiques locaux, trente et un pouvoirs exécutifs, trente et une législatures, trente et un pouvoirs judiciaires. Tout cela marche non pas sans collision, mais sans efforts. Les Américains n’ont pas imaginé qu’ils pussent sans suicide briser les traditions teutoniques et chrétiennes de leur race anglo-saxonne, ni détacher l’idée de liberté de l’idée de la variété. Ils se sont bien gardés de travailler leurs institutions en rêveurs philosophiques. Apportant dans ce travail l’expérience et la simplicité pratique du paysan, ce qui avait réussi à leurs pères, ils l’ont continué ; ce qui ne valait rien pour eux, ils l’ont rejeté.

On leur conseillait d’instituer une seule chambre délibérante, d’après le mode romain, mode unitaire et par conséquent despotique :