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Ce qu’on appelle gouvernement américain n’est donc pas un gouvernement ; c’est le développement légitime et inévitable du passé, favorable à la variété, à la liberté, à l’expansion humaines, non moins favorable à l’esprit de famille, de cohésion et de fraternité chrétienne. De même que les familles américaines se répandent par groupes isolés sur les points éloignés du territoire pour y former leurs abeilles créatrices, de même que les sectes subdivisées en fractions de sectes se rallient toujours au drapeau commun, ces deux élémens de la dispersion et de la concentration, double ressort qui plonge dans la tradition commune du germanisme et de la chrétienté, constituent le mécanisme politique des États-Unis, et entretiennent là vitalité énergique de l’Union. Sur mille points, chaque membre de la communauté soutient son opinion et son intérêt distincts ; manufacturiers, planteurs, hommes du nord, colons du sud ; abolitionistes, ouvriers, fermiers, capitalistes, tous contrarient le voisin et portent dans cette lutte organisée un zèle effréné en paroles, peu effrayant en réalité ; chaque township (et c’est là le plus petit cercle), chaque district, chaque comté, chaque état, forment autant de sphères isolées et concentriques, toutes renfermées dans la grande sphère de l’Union ; dans chacune des sphères, on se bat souvent pour des sujets peu importans, toujours sans danger ; même aux jours d’élection, point de discours inflammatoires ou de rassemblemens tumultueux : on vote par petits groupes de cent, deux cents, trois cents hommes, et en un jour tout est dit. Dans l’état de Vermont, où ce principe de la dispersion est poussé à l’extrême, et dont chaque township était autrefois représentée à la chambre basse, il arriva qu’une township déserte ne comptait plus que trois électeurs, un fermier, son fils et son domestique. « Ils s’arrangèrent dit M. Mackay, pour ne pas faire d’élection, mais pour s’élire tous les trois et siéger tour à tour à la chambre ; le père y représenta les intérêts de la propriété ; le fils, les droits de l’avenir, et le domestique, les droits du travail. »

Ainsi la vie politique n’est pas une fièvre universelle et ne procède point par accès furieux ; occupant peu de temps et peu d’espace, elle n’empêche ni le fermier de cultiver sa terre ni le bûcheron de couper son bois ; on est membre de la communauté toujours et partout, simplement, comme on est mari, fils ou père, sans cesser de vaquer aux occupations de son état et aux soins de sa fortune ; mille considérations personnelles et locales, mille intérêts partiels arment celui-ci contre le tarif, celui-là pour les restrictions commerciales, tel autre en faveur de l’esclavage, tel autre en faveur de l’intérêt agricole ; les questions subdivisées et localisées à l’infini n’agitent que des fractions infiniment petites de l’ensemble ; tel est homme politique dans son district qui ne l’est pas dans son comté, et qui ne le sera jamais à Washington ; enfin, au moment où la législature centrale s’empare des questions