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Ce qui fait sa force, c’est à la fois l’élément puritain qui s’y rallie en beaucoup de circonstances, comme je l’ai dit, et le besoin d’agrandissement populaire, de conquête guerrière, de passion hardie, qui caractérise la troisième époque américaine, époque qui s’inaugure aujourd’hui. Consolider le gouvernement central et s’opposer à la dispersion des forces, telle est la politique des whigs américains. La plupart des hommes d’argent, manufacturiers, capitalistes, grands propriétaires, sont de ce bord ; ce sont eux qui ont soutenu par instinct la banque nationale, attaquée par le président Jackson dans la question du tarif, eux qui ont combattu pour les intérêts du capital en opposition à ceux du travail et spécialement à ceux du travail agricole. Vingt autres questions, celles de l’esclavage, des manufactures, des chemins de fer, viennent traverser de leurs sillons contradictoires ces deux grandes zones de la vie politique. Dans les questions subsidiaires démocrates et whigs se détachent, se croisent, se mêlent sans embarras ; une portion du parti démocratique de Pensylvanie s’est rattachée aux whigs dans la question commerciale, de même que plusieurs whigs de l’Ouest penchent, dans les mêmes questions, vers les opinions de leurs adversaires politiques. À l’extrémité du parti whig, on trouve les défenseurs quand même du capital, les gentilshommes ; à la dernière limite du parti démocratique, les nullificateurs, qui voudraient réserver à chaque état le droit de frapper de nullité les arrêtés du congrès ; enfin, les séparatistes (seceders) qui prétendent se retirer complètement de la fédération, suivant leur bon plaisir et leur utilité. Ceux-ci ne tendent à rien moins, on le voit, qu’à la destruction totale de l’Union, et il est impossible d’aller plus loin en fait de dispersion de forces. Les whigs donnent à leurs adversaires extrêmes le sobriquet de loco-focos, emprunté au lieu de leurs séances ; les démocrates confèrent à leurs antagonistes la dénomination de fédéralistes, c’est-à-dire partisans outrés du lien fédéral, titre injurieux que ces derniers n’acceptent pas.

Ce qui prouve la complexité des institutions américaines et du jeu des partis, c’est que les seceders aspirant à briser l’Union, et les nullifiers tendant au même but et s’arrêtant en chemin, n’obéissent pas à des mobiles politiques, mais à des considérations d’intérêt ; ce ne sont pas des démocrates de sentiment ou de théorie, mais des cultivateurs de coton, que les tarifs imaginés pour la protection des manufacturiers du nord appauvrissent ou menacent. La Caroline du Sud, centre de ce parti, et à sa tête M. Calhoun, de race irlandaise, d’une énergie de volonté rare et d’une grande puissance d’esprit (il est mort récemment), ont donné fort à faire à leurs concitoyens ; les milices de la Caroline étaient prêtes à résister au congrès, les fusils reluisaient au soleil de Charleston, les troupes locales défilaient en face des troupes fédérales, et l’on allait se battre, seceders et unionistes, quand les amis