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Sur ce continent où la variété libre est si puissante, une capitale dans le sens européen de ce mot est aussi impossible qu’un roi. La métropole politique, Washington, déserte une partie de l’année, n’a aucune importance comme ville ; New-York, Philadelphie, Baltimore, Charleston, Cincinnati, Saint-Louis, même Boston, occupent des situations excentriques, près des limites de chaque province, et la législature n’y siège pas ; de toutes les grandes villes américaines, Boston est aujourd’hui la seule qui soit centre politique. Le caractère même et la tradition de chaque cité se sont conservés intacts ; la douce gravité, le vêtement modeste, la gaieté modérée des Philadelphiens, un certain degré d’élégance calme qui va quelquefois jusqu’à la recherche de la simplicité, rappellent Franklin et ses amis, et contrastent avec la turbulence, l’entrain, la vie en plein air, les bals, les amusemens, les réunions nombreuses et le costume souvent exagéré des habitans de New-York. « Quel est ce personnage au gilet jaune et au jabot sans pareil ? demandait une voyageuse à son cicerone. — Je le connais ; c’est un fermier du Connecticut. -Quoi ! de ce pays que l’on nomme le pays des gens graves ? — Oui, mais il a passé par New-York. »

La physionomie de Boston n’est pas moins tranchée ; personne ne peut s’étonner que cette ville ait joué un rôle presque aristocratique, comme nous le verrons tout à l’heure, dans la vie commerciale du pays. C’est une ville plus anglaise que Londres. Écoutez un Bostonien, il vous dira que l’on ne parle bon Anglais que dans sa ville. Là se sont maintenues les vieilles coutumes antérieures à la déclaration de l’indépendance ; on y chante toujours les hymnes nasales des calvinistes de Cromwell, et l’on reste long-temps à table après le dîner. « J’ai rencontré plus d’une fois dans les rues de Boston, dit un voyageur récent, le vrai calviniste du Covenant et le brave gentilhomme anglais du temps d’Addison et de Steele. Ne vous permettez pas devant lui une seule remarque défavorable à son pays ; John Bull, devenu Américain, est plus susceptible que par le passé. »

Le Bostonien a ses raisons pour être fier à bien des égards de sa cité natale. La culture de l’intelligence, la sévérité des mœurs, la probité et l’économie y sont en honneur, et peu de villes de l’Union réunissent dans leur sein autant d’hommes distingués. C’est aussi à la ville puritaine que revient la gloire insigne d’avoir porté dans la vie des manufactures la régularité féconde des habitudes religieuses et la pureté des mœurs de famille, d’avoir concilié l’exploitation industrielle la plus active avec le respect de la liberté et les droits de l’humanité, enfin d’avoir moralisé le capital. Ce n’est certes point par la théorie, c’est par la pratique, en continuant et en creusant le sillon de la tradition chrétienne, que les puritains de Boston y sont parvenus. Selon la vieille habitude, ils n’ont pas cessé d’honorer profondément le capital ; mais, comme perspective et récompense, ils ont offert à l’ouvrier qu’ils employaient