Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens de labeur, une institution où ils vont recevoir des leçons de lecture, d’écriture et de langues modernes. Une population de 30,000 ames envoie à l’école 6,000 enfans.

La vie des ouvrières de Lowell est bien plus remarquable encore. Comme un Américain n’emploie jamais l’activité humaine, surtout celle de son enfant, avant l’adolescence, l’ouvrière quitte la maison paternelle à quinze ans et se fait inscrire à Lowell. Elle gagne 8 shillings 4 pence (9 fr. 20 cent.) par semaine, quelquefois davantage, sans compter la nourriture qui lui est fournie. On la paie mensuellement ; n’ayant presque rien à dépenser pour son logement et son vêtement qui est simple, elle dépose à la banque des ouvrières ses économies que l’on fait profiter, amasse ainsi 2 ou 3,000 francs, se marie à un aventurier de l’ouest, part pour les prairies et les forêts lointaines, aide son mari dans l’exploitation d’un lot de terre où la famille bâtit son manoir, vit propriétaire et fermière jusqu’à un âge en général fort avancé, et meurt paisible, après avoir élevé une douzaine d’enfans pour la même carrière. Rien ici ne rappelle la vie de hasard, d’excitation et de caprice si commune et si séduisante dans les grandes villes d’Europe ; rien ne favorise l’affaissement du sentiment religieux et celui du sentiment de famille. Un peu de pédantisme calviniste vient répandre sur ces mœurs, comme à Genève et à Glasgow, une demi-teinte de ridicule. Ces ouvrières si morales ont quelquefois le tort de se faire bleues et de jeter des vers élégiaques assez faibles dans le moule incolore et sentimental de, mistriss Hemans. Mistriss Trollope les appelle les précieuses ridicules de l’industrie, et l’Almanach des Muses de Lowell, volume rempli de leurs vers qui ne valent ni plus ni moins que ceux de la princesse de Salm ou de Mme Deshoulières, prêtent à la raillerie de l’auteur comique ; le philosophe sérieux, qui est toujours un grand auteur comique, sait que l’humanité marche ainsi et se contente de sourire.

Comme le capital de Boston a fondé Lowell, les Bostoniens s’enorgueillissent de leur œuvre, qui d’ailleurs est parfaitement d’accord avec le puritanisme et la grave régularité qui dominent chez eux. Au fond de la prospérité de ces manufactures-modèles, nous retrouvons la grande question que nous avons touchée tout à l’heure, celle de la liberté respective des états et de leur mutuelle dépendance. Lowell a grandi par les causes mêmes qui ont insurgé la Caroline du sud. Le tarif énorme et presque prohibitif de 1828, assurant au capital placé dans certaines conditions un profit beaucoup plus considérable que dans tout autre emploi, a produit le magnifique développement de l’institution que nous venons de décrire ; les corporations manufacturières jaillirent alors de mille points du sol, et le manufacturier capitaliste ne tarda pas à s’enrichir. Les corporations de Lowell prirent alors