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Londres. « J’étais un jour à Washington, dit un voyageur, et je m’étais assis par désoeuvrement dans le bureau du télégraphe. Je m’avisai de demander au commis quel temps il faisait à Boston, à cinq cents milles de nous (cent soixante-six lieues) ; en trois minutes, nous savions qu’il faisait beau à Boston, que la chaleur y était grande et qu’un orage s’annonçait au nord-ouest. » La concurrence des journaux emploie le télégraphe électrique pour procurer à l’abonné les nouvelles les plus fraîches possible. C’est à qui gagnera de vitesse le rival. On a vu des éditeurs de journaux faire stationner, sur le rivage où devait aborder le navire qui apportait les nouvelles, deux enfans, l’un à cheval, l’autre à pied. Un troisième agent, à bord du vaisseau, lançait les dépêches placées dans un bâton fendu que ramassait le piéton et qu’emportait le cavalier partant au grand galop pour le bureau du télégraphe. Un compétiteur imagina de distancer les inventeurs de ce mécanisme ; il plaça la dépêche au bout d’une flèche qui allait tomber un mètre plus loin, et qui ramassée plus tôt, parvenait plus vite. À voir cette ardeur qui dévore l’espace et anéantit le temps, ardeur dont les Américains sont possédés, on peut croire que les nouvelles de l’Europe passant en un clin d’œil de New-York à San-Francisco, et celles de l’Asie faisant avec une égale rapidité la route de San-Francisco à New-York, les deux extrémités du vieux monde se donneront bientôt la main et causeront ensemble à travers les États-Unis.

De là le grand nombre des annonces dont les journaux américains offrent une forêt si épaisse. Le Times, le plus grand et le plus répandu des journaux anglais, dépasse rarement le chiffre de huit cents annonces ; on en trouve de douze à quatorze cents dans un journal américain. Il s’agit de pousser la conquête dans toutes les directions, d’expérimenter, de tenter toutes les chances. À quinze ans, l’homme sait qu’il doit être l’architecte de sa propre fortune. Les liens de famille se détendent quelquefois, et la virilité commence de si bonne heure, que l’on ne sait ni où finit l’adolescence, ni où s’arrête la minorité. On discute les affaires d’état en sortant de sevrage, et le champ des spéculations s’ouvre pour l’enfant qui bégaie. Des rêves d’ambition indéfinie flottent vaguement dans tous les esprits ; le nom de ce Gérard qui a gagné des millions de dollars sans un denier de capital est le fantôme aérien dont chacun est fasciné. Dès le plus bas âge, on prend part à la vie active, à la politique des partis, aux mystères du commerce, aux intrigues des factions. Devenir riche, grand et puissant, conquérir de l’influence, passer d’un élan de la misère à la plus splendide opulence, voilà ce que chacun se promet. La moralité nationale en souffre un peu ; quelques vertus, l’activité, l’énergie, l’audace, se développent aux dépens de vertus plus calmes ; le sol se défriche, les forêts tombent, le climat change, les ports se creusent, le progrès s’accomplit. Une