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le despotisme du capitaine révolta tout l’équipage. Mécontent d’un matelot, il le jeta par-dessus le bord ; voulant se défaire de huit de ses hommes, il les mit sur une barque et leur fit passer la barre du fleuve, où ils périrent, ce qui était inévitable ; enfin, quatre ou cinq de ses partners lui ayant déplu et quelques passagers prenant parti pour eux contre lui, il les fit saisir et les abandonna dans une île déserte. Après avoir ainsi assuré son règne par la terreur, il débarqua son monde sur les bords de l’Orégon et continua sa route vers le nord, longeant les côtes de la mer Pacifique : c’était là que l’attendait la mort la plus affreuse, prélude des drames sanglans dont la colonie astorienne allait être victime.

On faisait le commerce avec les indigènes, qui apportaient à bord des pelleteries et recevaient en échange divers objets de coutellerie et de verroterie. Un de ces sauvages ayant endommagé avec son couteau le treillis qui entourait le bâtiment et s’étant enfui, le capitaine exigea des chefs qui l’avaient amené à bord qu’ils livrassent le coupable ; ils pensèrent sans doute que l’offense était trop légère et se contentèrent de sourire. Alors, retenus prisonniers, ils refusèrent obstinément de boire, de manger et de répondre : le lendemain le coupable ayant été livré, on les relâcha en leur offrant des présens qu’ils refusèrent avec dédain. La tragédie dont nous allons voir le dénoûment se préparait ; le surlendemain aucun Indien ne parut, mais le jour d’après ils firent demander si M. Mackay et M. Ross, par lesquels ils avaient été bien traités et qu’ils aimaient, voulaient venir leur rendre visite. Ces derniers y consentirent. — Eh bien ! demandèrent-ils, le capitaine est-il toujours en colère ? — Non, et si vous voulez, vous pouvez revenir à bord en toute liberté. -Nous irons. — En effet, le lendemain ils arrivèrent en grand nombre et avec des intentions qui semblaient pacifiques.

Le capitaine, selon l’habitude de ces natures féroces et incomplètes, qui passent de la fureur aux protestations cordiales, crut devoir les rassurer en les accueillant à bras ouverts. « - Vous avez tort, lui dit M. Mackay, de ne prendre aucune précaution ; je connais les Indiens, il y a de la trahison sous jeu ; leur sourire et leur confiance apparente ne doivent pas vous tromper : armez vos hommes, croyez-moi. — Je leur ai donné une leçon, ils n’oseront bouger. » -Mackay représenta au capitaine qu’il avait beaucoup pratiqué les sauvages, et que c’était toujours ainsi, dans un calme apparent, que se tramaient leurs plus terribles actes de vengeance. Cependant le commerce allait son train, les Indiens jetaient dans leurs pirogues, à mesure qu’ils les recevaient, les objets dont ils faisaient l’acquisition. Les femmes affluaient à bord, et tout semblait pour le mieux. Enfin, au bout d’une heure, les femmes descendirent dans les pirogues, et M. Mackay, ayant vu les