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commerce, et vous n’avez pas l’air non plus de voyager pour votre plaisir ; c’est singulier. — Oui, c’est singulier. — Très singulier. Et vous partez bientôt ? — Quand j’en aurai assez de l’Amérique.

Heureusement la petite ville d’Augusta fit apparaître son clocher libérateur. — C’est bien là Augusta ? dit en soupirant M. Mackay à son voisin ? — Je pense, si je suppute bien, répondit l’autre, qui selon la coutume américaine fit subir à sa réponse une élaboration normande, que ce pourrait bien être quelque chose comme la location qui s’appelle Augusta. »

Au milieu d’une civilisation si active et si variée, morale et naïve en certaines localités, rude et violente en certaines autres, la femme représente les élégances et les graces bannies de la vie privée par la grande entreprise américaine ; elle représente aussi les générations futures et le progrès de la population, élément de force pour l’avenir. Les voyageurs étrangers s’étonnent de voir un peuple, que l’on accuse d’une rudesse de mœurs et d’une grossièreté à peine effleurées par l’éducation, professer pour ses femmes un amour chevaleresque. Aux États-Unis, les femmes jouissent d’une liberté et d’une considération extrêmes ; les jeunes filles invitent, ce sont elles qui reçoivent ; tout ce qui n’est pas civilisation matérielle leur appartient. Ici comme toujours, les Américains montrent un grand sens. Dans des mœurs sans galanterie et qui en général sont pures, la domination du salon et du boudoir est sans dangers. Aussi retrouve-t-on confondues dans un mélange plein de grace l’austérité de la puritaine primitive, les douces attentions de la ménagère telle que Franklin la comprenait, et la force d’aine de la Saxonne qui s’en va braver les périls lointains et coloniser les déserts.

En 1847, un Anglais de l’espèce la plus farouche et la moins communicative qui se puisse imaginer visitait les États-Unis. C’était un gros homme, robuste, riche apparemment et accoutumé à imposer sa volonté à tout le monde. Il avait retenu la première place de coin dans une voiture publique, et il ne manqua pas de se trouver de fort bonne heure à son poste. Les chevaux n’étaient pas attelés que notre homme, un journal sous les yeux, les deux pieds appuyés sur la banquette et tapi comfortablement dans son coin, ruminait sa lecture sous un rayon de soleil qui l’échauffait.

— Monsieur, lui dit le propriétaire de la voiture, ouvrant la portière assez brusquement pour déranger cette voluptueuse solitude, je vous demande bien pardon, mais il y a des dames qui vont vous tenir compagnie, faites-moi le plaisir de passer de l’autre côté.

Le nez de l’Anglais et ses yeux ronds se levèrent ensemble avec une expression de stupeur.

— Oui, monsieur, reprit l’autre, je vous assure que j’en suis bien