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portefeuille n’a gardé ses secrets, on peut affirmer qu’il n’existait à Versailles, aux premiers jours du mois de juillet 1789, aucun projet arrêté pour disperser par la force l’assemblée nationale, ou même pour la transférer dans une autre ville du royaume sans son assentiment. Cependant, quoiqu’un tel projet n’existât point, la maladresse de la cour et l’imprudence de ses démarches l’avaient rendu vraisemblable ; les mesures prises à Versailles éveillaient tous les soupçons et suscitaient toutes les colères. Ni le maréchal de Broglie, ni le prince de Lambesc, ni M. de Besenval n’avaient reçu sans doute l’ordre d’enlever les députés patriotes et de massacrer les Parisiens, comme l’affirmaient les motionnaires du Palais-Royal ; mais la menaçante attitude des chefs militaires laissait croire à des projets dont le secret échappait à tous. Une agglomération de troupes, trop faible pour permettre de rien entreprendre de décisif, trop nombreuse pour pouvoir être naturellement expliquée, venait ajouter aux dangers de l’hésitation les périls plus graves encore d’une provocation téméraire. En chassant M. Necker, auquel on retirait le pouvoir dont il s’était montré si inhabile à faire usage, le gouvernement semblait d’ailleurs revenir sur toutes les concessions faites jusqu’alors ; en appelant tout à coup dans ses conseils des ministres nouveaux dont l’impopularité le disputait à l’impuissance, il paraissait annoncer des résolutions désespérées ; l’on eût dit qu’il mettait tous ses soins à justifier les attaques des factions, lorsqu’il n’en prenait aucun pour leur résister efficacement.

Il était impossible que les députés des communes ne s’alarmassent pas de dispositions militaires et de résolutions politiques qui laissaient planer sur l’assemblée des menaces et des périls. L’histoire ne saurait donc ni blâmer leurs instances réitérées pour obtenir l’éloignement des troupes qu’on disait s’avancer sur Versailles, ni s’étonner des formidables appels adressés au dehors pour prévenir le coup dont la représentation nationale paraissait alors menacée. En opposant les forces du peuple à celles de l’armée, en cherchant dans des passions furieuses un abri contre des projets, sinon réels, du moins vraisemblables, on entamait sans doute une dangereuse partie, mais il faudrait méconnaître la nature humaine pour s’étonner qu’une telle tentative ait été faite. Lorsque l’ardente parole de Mirabeau eut mis le feu au canon sous lequel allaient tomber les murs de la Bastille, la cour put s’imputer trop justement la responsabilité de l’insurrection que son attitude avait provoquée. Si les députés des communes s’étaient donc bornés à accueillir la révolution du 14juillet comme la délivrance d’un grand péril, comme un gage d’indépendance pour leurs personnes et pour leurs travaux ; si même, en présence des horribles scènes qui signalèrent ces sanglantes journées, ils avaient fait taire pour un jour la voix de l’humanité devant celle de la politique, il n’y aurait peut-être ni trop à s’étonner d’une telle conduite, ni trop à blâmer une telle