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Voici ce que disaient en substance, pour justifier cette expropriation (le mot fut alors créé pour la chose), Treilhard, Talleyrand, Mirabeau, Barnave, Thouret, Camus et leurs amis : « Le principe de la propriété est inviolable sans doute, mais c’est sous la condition de ne pas engendrer des abus contraires à l’intérêt de la société et à ses progrès. Le système de la main-morte nuit à la circulation des valeurs immobilières, il entretient l’oisiveté et la routine agricole, il nourrit et fomente le vice, il corrompt le clergé lui-même. Il faut d’ailleurs distinguer avec soin la propriété viagère et collective de la propriété du père de famille. Si les lois garantissent l’inviolabilité de l’une, l’autre est placée dans des conditions particulières qu’il appartient au législateur d’apprécier. Les donations originairement faites à l’église dans des siècles d’ignorance et de foi ont été destinées à assurer l’existence de ses ministres et à mettre ceux-ci en mesure de répandre d’abondantes charités sur les classes pauvres. Que l’état prenne l’engagement de soulager lui-même les classes souffrantes en substituant l’organisation d’une bienfaisance éclairée aux efforts mal concertée d’une charité sans lumière ; qu’il garantisse de plus aux propriétaires actuels de ces biens une existence suffisante ; qu’en transformant les ministres du culte en fonctionnaires publics, il assure à ces officiers de morale un salaire proportionné à l’importance de leurs fonctions, alors il donnera à la pensée des donataires la seule interprétation conciliable avec les droits permanens du pays et avec ses intérêts actuels, qui prescrivent de fonder sur de larges bases le crédit de la nation épuisé par les prodigalités du régime déchu.

Substituez la bourse à l’église, les banquiers aux évêques, le capital au fanatisme et l’infâme de Proudhon à l’infâme de Voltaire, — et, en lisant le Moniteur de 1848, vous croirez relire celui de 1790. Il n’est pas un argument employé contre les couvens et les chapitres dont on ne se soit servi pour préparer la dépossession des chemins de fer et des compagnies industrielles. Aucun de ces principes n’est demeuré stérile, et les fils recueillent ce qu’ont semé les pères. La semence a grandi avec cette promptitude qui caractérise la végétation des idées sur la terre de France. Les classes qui ont confisqué les biens du clergé en arguant des inconvéniens de la main-morte, et quelques mois après ceux des émigrés en arguant du crime de trahison, se trouvent aujourd’hui en face du socialisme dans une situation dont les périls ne proviennent pas moins des torts des uns que des cupidités des autres. Elles ne protégeront aujourd’hui leurs intérêts, qui se confondent avec ceux de la civilisation tout entière, que par le loyal aveu des violences d’une époque dont on peut honorer les bienfaits sans en glorifier les maximes. Malheur à la bourgeoisie française, si elle conservait deux poids et deux mesures : l’une pour peser le passé selon ses antipathies, l’autre pour