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qui poussait leurs pères en Syrie. On partit pour Coblentz, parce que les princes le voulaient, et qu’on avait été enseigné à ne refuser à ses princes aucun sacrifice, depuis celui de sa volonté jusqu’à celui de son sang.

Si la noblesse française, au lieu d’être une corporation militaire, eût été une corporation politique, il ne lui aurait pas échappé qu’en secondant l’invasion, elle allait donner à la démocratie le premier rôle dans le drame révolutionnaire, et qu’en s’attribuant à elle-même l’organisation d’une caste armée, elle exaspérerait la bourgeoisie et arrêterait court la réaction qui tendait à rejeter celle-ci vers la royauté depuis que le parti démocratique avait proclamé son but définitif. L’émigration et l’invasion étrangère furent en effet les causes véritables qui, dans la crise de 92, assurèrent la suprématie à la populace sur le corps des citoyens actifs créé par la constitution de 91, et qui disparut sous la mitraille du 10 août. Les classes moyennes, violemment rejetées par cette menaçante évocation de l’ancien régime et par les imprudens manifestes des cabinets étrangers dans le mouvement révolutionnaire auquel elles aspiraient alors à échapper, abdiquèrent aux mains de la démocratie armée, devenue, par la force même des choses, le seul rempart de l’indépendance nationale. Cette abdication permit à une audacieuse minorité de substituer sa pensée à celle de la France, et la république sortit des paroles du duc de Brunswick et des camps du prince de Condé.

Mais ce furent moins les périls de la guerre extérieure que les tyranniques atteintes portées à la plus sainte des libertés humaines qui préparèrent la crise où s’abîma l’œuvre politique élaborée par la bourgeoisie. La constituante avait pu renverser les plus vieilles institutions, toucher à toutes les fortunes, et changer par ses décrets le cours des mœurs, des idées et même du langage sans voit s’élever sur ses pas aucun obstacle sérieux. Elle avait transformé le petit-fils de Louis XIV en exécuteur des ordres d’une assemblée souveraine, et le pays l’avait trouvé bon, tant le pouvoir absolu avait, depuis deux siècles, abusé de lui-même ; elle avait supprimé la noblesse, enlevé aux fils les noms de leurs pères, déguisant Mirabeau en Riquetti, Lafayette en Mottié, faisant de MM. de Montmorency MM. Bouchard, et la France avait tout approuvé, tout applaudi, tout jusqu’à ces ridicules abus de la victoire. Cet abaissement sans exemple, infligé tout à coup aux plus vieilles races du pays, n’avait eu la puissance d’émouvoir ni les rudes campagnes de l’ouest ni les ardentes contrées du midi, quoique, dans ces provinces reculées, une aristocratie au cœur droit et aux mœurs simples se maintînt en relations plus étroites que dans le reste du royaume avec les populations agricoles. La transformation radicale de la France, proclamée en 89 et législativement terminée en 90, n’avait provoqué, au