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dans ses efforts pour la justifier des nombreux méfaits qu’on lui impute. À vrai dire et à examiner les choses de près, ce n’est pas la constitution athénienne dont M. Grote fait l’éloge et qu’il propose pour modèle : c’est bien plutôt le caractère athénien dont-il fait ressortir les admirables qualités, et dont, en dépit de tous les préjugés, il nous force d’admirer la constance et la grandeur.

En effet, que faut-il louer dans l’histoire d’Athènes ? Est-ce un gouvernement où d’importantes magistratures se tirent au sort, où les questions les plus graves s’agitent et se décident sur la place publique par une multitude excitée par des orateurs instruits par principes à soulever les passions populaires, où le pouvoir sans durée peut passer des mains du plus vertueux citoyen dans celles d’un scélérat éloquent ? Non certes ; mais ce qu’il y a de vraiment admirable, c’est de voir le peuple athénien conserver d’année en année la direction des affaires au plus grand homme de son temps, c’est son respect pour la loi qu’aucune passion ne peut lui faire oublier, c’est sa constance dans les revers, et par-dessus tout son bon sens et l’intelligence de ses véritables intérêts. M. Rollin et bien d’autres nous ont habitués à considérer les Athéniens comme le peuple le plus léger de la terre, frivole, cruel, insouciant, ne pensant qu’à ses plaisirs. Pourtant ce peuple si léger et si frivole nommait tous les ans Périclès stratège : c’est comme président ; il riait de bon cœur aux comédies qui tournaient ce grand homme en ridicule, mais, au sortir du théâtre, il retrouvait le respect pour le pouvoir. Ce peuple décrétait l’expédition de Sicile, parce qu’il avait de l’ambition ; mais il choisissait pour général Nicias, le chef du parti aristocratique, parce qu’il le tenait pour honnête homme et bon capitaine. Les bourgeois d’Athènes voyaient tous les ans les Péloponnésiens ravager l’Attique, couper leurs oliviers, brûler leurs fermes, arracher leurs vignes, et pas un ne demandait la paix, parce que Périclès leur avait dit qu’en abandonnant à l’ennemi une partie de leur territoire, ils pouvaient, au moyen de leur flotte, conserver et étendre leur empire. Lorsque, dans la funeste expédition de Sicile, Athènes eut perdu la fleur de ses hoplites et de ses marins, quelques mois lui suffirent pour armer de nouveaux vaisseaux, rassembler de nouveaux soldats et gagner de grandes batailles. Observons encore que cette constance, cet héroïsme, car il faut appeler les choses par leur nom, est partagé par tout un peuple ; qu’il n’est pas provoqué par la peur qu’inspirent quelques tyrans. C’est le résultat de délibérations prises avec calme, après une discussion approfondie, dans laquelle toute opinion a pu librement se produire, et même être écoutée par une multitude, non de 750 hommes, mais de 1,000. Nous sommes fiers, et non sans raison, des quatorze années de notre première république et de notre énergie à repousser l’invasion de l’Europe ;