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avantages considérables que promet l’Asie Mineure à la puissance qui saurait en exploiter les richesses naturelles ne pouvaient échapper à la sagacité de la nation britannique. Déjà la prépondérance commerciale et par conséquent l’ascendant politique de l’Angleterre se consolident de plus en plus dans cette belle péninsule, qui, depuis les temps les plus reculés, a toujours semblé un pont jeté par la nature entre l’Asie et l’Europe. Les agens, les comptoirs, les pyroscaphes anglais sont là, comme partout, les avant-coureurs d’une ambition qui, il faut le reconnaître, se montre courageuse autant qu’habile. L’Angleterre ne craint pas de proclamer ses vues ni d’avouer ses actes. Les ingénieurs, les naturalistes, les voyageurs anglais qui sillonnent l’Orient accomplissent leurs utiles travaux à la face du monde entier, le front haut, comme des hommes sûrs de leur droit. On ne peut nier ce qu’il y a d’admirable dans le dévouement de ces nombreux agens choisis avec un tact si rare et sachant servir leur gouvernement avec la même énergie que celui-ci mettrait au besoin à les appuyer. Pourquoi donc l’Angleterre ne nous permet-elle pas de l’admirer sans regret ? Pourquoi sa politique, presque toujours si prudente et si ferme, s’est-elle récemment encore laissé entraîner en Orient à des actes que la portion éclairée de la nation anglaise est la première à condamner ? De tels abus de la force, loin de servir l’influence britannique, lui portent une grave atteinte, et des violences comme celles du Pirée avertissent la Turquie du sort qui l’attend, si la Grande-Bretagne juge quelque jour à propos de faire prévaloir en Asie Mineure cette législation du plus fort, déjà proclamée, sur les côtes de la Grèce.

Il est temps que l’Europe continentale se préoccupe de l’avenir de ces belles contrées, qui ne doivent être abandonnées exclusivement ni au commerce anglais ni à l’action malheureusement impuissante de l’administration locale. Sans doute des hommes éminens sont placés aujourd’hui à la tête du gouvernement ottoman, et la régénération de la Turquie est le but constant de leurs efforts ; mais, quelles que soient les intentions généreuses du sultan Abdul-Medjid, de Réchid-Pacha, d’Ali-Pacha, de Fuad-Effendi, ces intentions peuvent-elles suffire, et les populations musulmanes sortiront-elles jamais de leur longue torpeur, si l’Europe ne vient porter parmi elles cet esprit d’entreprise, cette intelligence des intérêts matériels qui doivent aujourd’hui compter de plus en plus parmi les élémens de la puissance politique ? — Encourager les recherches, les tentatives de l’industrie, de la science européenne dans toutes les parties de la Turquie et dans l’Asie Mineure en particulier, telle devrait être la principale préoccupation du sultan et de ses ministres. Étudier avec une activité persévérante les ressources si variées et si peu connues encore du territoire ottoman, tel serait aussi le rôle que l’Europe continentale devrait se proposer, et ces deux tâches,