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n’avons rien sur l’Espagne et l’Angleterre qui se recommande par des noms revêtus d’une pareille autorité, il ne faut pourtant pas regarder comme inutiles et sans valeur tous les travaux entrepris pour nous initier à la connaissance de ces deux pays. Est-ce à dire que toutes ces pérégrinations de l’esprit français, si importantes lorsqu’on les envisage dans leur rapport avec l’éducation générale de la nation, n’aient pas exercé souvent une influence fâcheuse sur le développement du génie poétique ? Je ne crois pas qu’il soit permis d’en douter.

L’école littéraire de la restauration, dont je n’entends pas contester la valeur d’une façon absolue, quoique ses intentions aient été trop souvent supérieures à ses œuvres, se fût peut-être montrée plus féconde, si l’Allemagne et l’Angleterre, après avoir excité sa curiosité, n’eussent offert à sa faiblesse de nombreuses occasions de succomber, en lui offrant de trop nombreux modèles. La poésie française, après avoir imité l’Italie sous les Médicis, l’Espagne sous Louis XIII, s’est mise, sous la restauration, à imiter l’Angleterre et l’Allemagne. Au XIXe siècle, comme au XVIe, comme au XVIIe, les esprits doués d’une véritable puissance ont su résister à la tentation, ou garder dans l’imitation des peuples voisins leur physionomie individuelle. Cependant ces glorieuses exceptions n’infirment pas la valeur de ma pensée. La connaissance des littératures étrangères, utile et féconde pour les esprits qui veulent juger, puisqu’elle leur fournit de nouveaux termes de comparaison, expose à de cruelles méprises les esprits qui prétendent produire. La mémoire prend parfois la place de l’imagination, à l’insu même du poète, qui s’applaudit de son larcin comme d’une œuvre enfantée par son génie.

À Dieu ne plaise que je méconnaisse les services rendus à l’esprit français par l’étude des littératures étrangères ! Sans accepter comme vrai le mot de Charles-Quint, ou du moins le mot qu’on lui prête, sans croire comme lui qu’un homme qui sait cinq langues vaille cinq hommes, je vois pourtant dans la connaissance des idiomes étrangers un accroissement de puissance. Une vérité si évidente n’a pas besoin d’être démontrée. Cependant cet accroissement de puissance, utile à ceux qui possèdent déjà par eux-mêmes une force créatrice, lorsqu’il tombe en partage à des intelligences privées de toute fécondité, ne sert qu’à les abuser sur la pauvreté de leur nature ; elles croient inventer lorsqu’elles se souviennent. Si, pour me servir d’une expression familière à ceux qui ont étudié l’extraction et l’emploi des métaux, il était permis dans les œuvres modernes, je veux dire dans les œuvres publiées depuis la restauration jusqu’à nos jours, de faire le départ des pensées qui appartiennent à Goethe ou à Byron, et de celles que la France peut revendiquer comme siennes, on serait justement étonné en voyant à quoi se réduit notre vraie richesse.