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tous les élémens d’une action comique. Cependant je verrais avec regret la pensée changer de cadre. Le type conçu par Béranger ne gagnerait rien à se mouvoir dans un plus vaste espace. Il me semble au contraire que tous les traits de crédulité, d’orgueil niais, de vanterie stupide rassemblés dans cette chanson, noués par le poète comme les épis par le moissonneur, exciteraient chez nous une gaieté moins vive en s’éparpillant dans le champ d’une comédie.

Quant à Paillasse, je ne l’ai jamais lu sans admirer la verve, la puissance avec laquelle Béranger a flétri l’apostasie politique. Ce paillasse dont le nom est dans toutes les bouches, joyeux compagnon, gourmand, paresseux, libertin, méprisant, méprisé, rampant et hautain, insolent et insensible à l’insulte, est un des types les plus complets que la satire ait jamais dessinés. La rapidité de la période, la familiarité de l’expression, n’ôtent rien à l’amertume de la pensée. On sent, on aime à sentir sous cette raillerie abondante, sous cette intarissable ironie, l’indignation d’une ame généreuse. La gaieté parle au nom de la colère et n’oublie pas un seul instant sa mission. Cette chanson, écrite dans la langue des tréteaux, doit à sa trivialité même une partie de sa valeur. Pour peindre les baladins qui font la roue, qui amusent le maître, quel qu’il soit, il fallait emprunter la langue des baladins ; l’hexamètre de Juvénal se fût souillé en les touchant.

La patrie a été pour Béranger la muse la plus généreuse ; c’est à l’amour de la patrie qu’il doit ses inspirations les plus heureuses, les plus populaires. Si dans l’expression de l’amour il est incomplet, s’il a volontairement ou fatalement négligé tout ce qui donne à l’amour une véritable importance poétique, s’il a omis la peinture de la passion pour s’en tenir à la peinture du plaisir, comme je crois l’avoir montré, il a trouvé dans la patrie le sujet de plusieurs odes qui emportent la pensée dans les plus hautes régions. C’est dans les chants patriotiques de Béranger qu’il faut chercher la raison de sa puissance ; c’est à ces chants qu’il doit son autorité, c’est par eux qu’il a gouverné la multitude : il nous semble donc utile de les étudier avec un soin particulier. Ce qui les caractérise d’une façon générale, c’est la simplicité du début, simplicité d’autant plus frappante, qu’elle contraste heureusement avec l’énergie, avec la grandeur des idées que le poète nous présente ; cette simplicité est à mes yeux un des principaux mérites de Béranger. Pour donner à ma pensée plus de précision et de clarté, je choisis dans son recueil quelques chansons consacrées au culte de la patrie. À Dieu ne plaise que j’essaie d’analyser le procédé à l’aide duquel le poète nous émeut et nous entraîne ! on m’accuserait trop justement de présomption et de témérité ; mais, si je m’interdis par prudence l’analyse du procédé, analyse qui sans doute demeurerait impuissante ; si je renonce à décrire une méthode dont le secret n’appartient qu’au génie, je crois