Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers ardens, il contemple d’un œil radieux sa coupe écumeuse et le rein de Noeris. Entre les pièces de Béranger dont tous les détails sont traités avec tant de soin, le Pigeon messager mérite cependant une attention particulière, car, outre la finesse constante de l’exécution, il nous offre une pureté de lignes qu’on dirait dérobée à la Grèce de Sophocle et de Phidias.

Le Voyage imaginaire nous présente, sous une forme charmante, un des rêves chéris du poète. L’automne, en voilant le ciel de la France, en lui rappelant la fuite des années, reporte sa pensée vers sa patrie de prédilection. En vain faut-il qu’on lui traduise Homère ; il s’est assis aux bords de l’Ilissus, il a cueilli le laurier sur les rives de l’Eurotas. Il s’est promené sous les galeries du Parthénon, il a contemplé les Panathénées, il a vu les Théories aborder au Pirée. C’est en Grèce qu’il est né, c’est en Grèce qu’il voudrait mourir. Il y a dans toute cette pièce une admiration sincère pour l’art et la poésie antiques, un sentiment de légitime orgueil, la conscience d’une parenté méconnue, exprimée avec une franchise qui désarme le lecteur le plus morose. Si la parenté que Béranger revendique si énergiquement pouvait être contestée, la langue harmonieuse et savante qu’il emploie pour plaider sa cause suffirait à établir son bon droit. Pour parler si naturellement la langue des Muses, pour traduire sa pensée en strophes si rapides et si variées, il faut avoir éveillé les abeilles sur le mont Hymète. Le Voyage imaginaire n’est qu’une question de métempsychose ; Béranger n’a pas rêvé que la Grèce est sa patrie, qu’il a pris part aux fêtes de Minerve et de Bacchus ; c’est l’ame de Tyrtée qui se souvient.

Si maintenant, après avoir parcouru le cercle entier des sentimens exprimés par Béranger, j’essaie de résumer l’impression générale que j’ai reçue de ses œuvres, il m’est impossible de méconnaître l’intime parenté qui l’unit à Robert Burns. Comme le poète écossais, Béranger s’est toujours tenu près de la nature ; c’est à la nature, et non aux livres, qu’il a demandé ses inspirations. C’est le peuple, c’est son propre cœur qu’il a interrogé avant de prendre la parole. S’il a étudié avec un soin persévérant les trois derniers siècles de notre langue, c’était pour donner à sa pensée plus de précision, plus de franchise, et non pour chercher un modèle, car le genre qu’il a choisi est un genre créé par lui, et qui peut-être après lui demeurera long-temps stérile. Béranger a vécu aux champs, loin de nos querelles littéraires, n’ayant d’autre muse que la vérité, contemplant avec une raillerie indulgente les systèmes qui divisent la poésie, l’amour aveugle du passé qui réprouve le présent, l’enthousiasme irréfléchi pour les nouveautés qui dédaigne le passé sans le connaître, et sans prêter l’oreille aux imprécations ignorantes, aux anathèmes qui n’avaient pas la foi pour excuse, il a persévéré dans la voie qu’il avait choisie. Si le style de Béranger