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appelé par les Turcs Soglagöl. À mesure que je m’avançais dans la belle vallée du Soglagöl, je cherchais de tous côtés la vaste nappe d’eau qu’aucun accident de terrain ne pouvait masquer à mes regards. J’arrivai ainsi au village de Saladja, que je savais être sur le bord du lac, et j’eus alors le mot de cette énigme, car je remarquai à l’entrée du village une vaste dépression qui n’était autre chose que le bassin desséché du Soglagöl. Il faut donc rayer aujourd’hui des cartes de l’Asie Mineure un lac de près de trois milles géographiques de long sur un mille de large, et présentant une surface d’environ quatre milles géographiques carrés. La hauteur des rives orientales de l’enceinte du Soglagöl est de sept mètres cinquante-cinq centimètres, et on peut adopter le même chiffre comme indiquant la profondeur de la masse liquide qui baignait autrefois les maisons de Saladja. Ce grand desséchement opéré par la nature remonte à quatre ans, et la population agricole des bords du lac n’a pas vu, on le pense, sans une vive satisfaction cette retraite des eaux, qui ont laissé entièrement à sec une magnifique plaine recouverte d’un limon noir extrêmement favorable à la végétation. Les pêcheurs, de leur côté, ont été tristement surpris par cette brusque disparition du lac, et les nombreux bateaux qui se dressent encore çà et là au milieu de la plaine attestent que leur perte a dû être considérable. Le lac était en effet très poissonneux, et les poissons qu’on en retirait formaient un article de commerce très lucratif. Plusieurs de ces poissons salés et desséchés, que je me suis procurés, sont d’une très grande dimension et dans un état de conservation remarquable. La retraite du Soglagôl a encore fourni, pour les études géologiques, de précieux matériaux, parmi lesquels il faut compter de superbes couches horizontales de calcaire contenant des coquilles d’eau douce très différentes des coquilles encore vivantes qu’on recueille sur les bords du bassin[1]. Ces desséchemens naturels sont, on le voit, intéressans à plus d’un titre, et méritent d’être comptés parmi les nombreux phénomènes qui désignent l’Asie Mineure à l’attention des naturalistes.

À défaut de voies de communication intérieures, l’Anatolie présente du moins, surtout dans ses parties occidentale et méridionale, des côtes bien disposées pour la navigation. Sur tout son littoral du midi et de l’ouest, on pourrait créer un grand nombre d’excellens ports ; les criques, les baies, les anses abondent sur ces côtes capricieusement déchiquetées par la nature. Des travaux hydrauliques souvent très simples auraient pu remédier à un inconvénient qui se reproduit dans la plupart de ces petites rades, trop peu abritées du côté du midi

  1. Ainsi les masses calcaires des rives ne renferment que des planorbes, des lymnées, des paludines et autres univalves, tandis que, parmi les dépouilles organiques laissées à nu par la retraite des eaux, dominent surtout les unio.