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à peu près 600,000 cartouches à fusil et 350,000 charges de canon. Le nombre total des canons qui se trouvent aux différeras forts des Dardanelles est de 600, et celui des obusiers de 200, ce qui donne pour total 800 bouches à feu. Le chiffre de la garnison distribuée dans les différeras forts ne dépasse guère 3,200 hommes, parmi lesquels on chercherait inutilement de bons canonniers, bien qu’un officier prussien, M. Wendt, soit chargé de l’instruction et de l’exercice de cette garnison ; mais, malgré le mérite incontestable de ce fonctionnaire, il subit le sort réservé, parmi les Turcs, à tout étranger qui se charge de l’ingrate tâche de les initier à la science européenne. Aux yeux des autorités turques, aux yeux même des soldats, ce n’est qu’un giaour imposé par la fantaisie du sultan, et qu’une autre fantaisie pourra bientôt mettre à la porte ; ce qui effectivement ne tarderait pas à arriver si, emporté par son zèle et la conscience de son devoir, l’étranger persistait à vouloir atteindre le but de sa mission, au lieu de se résigner modestement à une position passive.

Ce serait mal juger toutefois le gouvernement ottoman que de croire qu’il n’est pas sérieusement préoccupé de la nécessité des réformes administratives que réclament les intérêts politiques aussi bien que les intérêts matériels de la Turquie. Après avoir montré les abus qui affligent les populations de l’Asie Mineure, comme celles de tout l’empire ottoman, il est juste d’indiquer aussi les moyens employés depuis quelques années pour introduire la Turquie dans une voie meilleure.


V

Tout le monde a entendu parler de l’acte proclamé le 3 novembre 1839 et généralement connu sous le nom de hatti-chérif de Gulhané. Ce manifeste, d’ailleurs très remarquable par les sentimens généreux et philanthropiques qu’il respire, semblait promettre à la Turquie une ère nouvelle, une renaissance complète. Les réformes que le sultan se proposait d’accomplir devaient (ce sont ses propres termes) « porter sur trois points : 1° les garanties de sécurité quant à la vie, l’honneur et la propriété des sujets ottomans ; 2° un mode régulier de répartition et de perception des impôts, et l’abolition complète du système d’iltizam ou de concession de ces droits à des particuliers[1] ; 3° l’établissement

  1. Ce système était flétri par le sultan dans les termes suivans : « Un usage funeste subsiste encore, quoiqu’il ne puisse avoir que des conséquences désastreuses : c’est celui de concessions vénales connues sous le nom d’iltizam. Dans ce système, l’administration civile et financière d’une localité est livrée à l’arbitraire d’un seul homme, c’est-à-dire quelquefois à la main de fer des passions les plus violentes et les plus cupides, car, si ce fermier n’est pas bon, il n’aura d’autres soins que son propre avantage. »