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Or, quels sont les moyens de défense que le gouvernement a placés entre les mains du pacha pour protéger plusieurs centaines de villages inoffensifs contre des hordes de brigands tous parfaitement montés et armés de pied en cap ? Ces moyens, les voici : d’abord cinquante hommes, soldats irréguliers moitié fantassins et moitié cavaliers, que le gouvernement met à la disposition du pacha, et dont le salaire est de 100 piastres (23 fr. 50 cent.) par an pour les fantassins, et de 130 piastres (30 francs) pour les cavaliers, salaire dans lequel sont non-seulement compris les frais de nourriture, mais aussi l’achat et l’entretien du cheval. Qu’on ajoute à ces cinquante soldats trente-deux cavaliers irréguliers (zaptys) attachés au service des chefs de districts qui coin posent la province, et l’on a, pour total de la force armée destinée à y faire respecter la loi et à tenir en frein sept à huit mille Kurdes turbulens, le chiffre de quatre-vingt-deux individus !

Le district minier d’Akmadène nous offre un autre exemple non moins significatif de cette insuffisance des moyens militaires mis à la disposition des fonctionnaires turcs ; il renferme près de quatre-vingt-dix villages sans cesse attaqués et pillés par les Kurdes, qui viennent même très souvent interrompre les travaux de la mine dont le gouvernement retire un si grand bénéfice ; or, pour faire face à cette bande d’ennemis de l’ordre social, quelle est la force dont dispose le chef ou mudir de ce district ? Seize cavaliers irréguliers  !

La sécurité de la propriété, la perception de l’impôt, l’organisation de l’armée, restent donc après comme avant le hatti-chérif de Gulhané les trois points qui appellent aujourd’hui plus que jamais la sollicitude du gouvernement turc. Les réformes accomplies ont rendu même plus nécessaires encore en Turquie les réformes ajournées. L’appareil gouvernemental de l’empire ottoman est en ce moment comme une machine dont on aurait voulu remplacer les ressorts anciens par des ressorts nouveaux, sans avoir pris la précaution de supprimer ou de remplacer les rouages que cette grave modification rendait inutiles ou nuisibles. La machine, mise en mouvement par des forces qui se contrarient ou s’annulent, a fini par ne plus obéir à aucune impulsion et, si défectueuse qu’elle soit, cette machine est encore très coûteuse.

En Turquie, on sait déjà à quoi s’en tenir sur les avantages du système réformateur. Ici, comme partout ailleurs, quand on impose au peuple de nouveaux sacrifices, son premier mouvement est de se demander quels sont les résultats qu’il achète à ce prix, et, lorsqu’il découvre que le sacrifice a été gratuit ou disproportionné avec le bien obtenu, il se croit dupe ; le mécontentement devient alors général, et c’est un symptôme qu’il serait dangereux de laisser se développer, car il pourrait devenir, surtout par le temps qui court, le précurseur d’un