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soient reproduites ; ce que l’ame ne se lasse jamais de contempler, c’est l’ame.

Mlle Toussaint le sait, car si elle se complaît, sous l’influence des instincts pittoresques de son pays, dans la description minutieuse des meubles et des vêtemens, elle se garde de négliger pour la nature extérieure et matérielle la nature intérieure et la vie morale. Au contraire, elle en sonde d’un coup d’œil très pénétrant les abîmes, elle en fouille d’une main très sûre les replis. Peut-être ici encore la tendance descriptive, transportée du monde physique dans le monde moral, se laisse-t-elle trop sentir. Mlle Toussaint fait parfaitement connaître les personnages de son roman, mais c’est plutôt par une analyse approfondie et délicate de leurs sentimens ou de leur caractère que par une mise en scène vive et franche ; elle les explique au lecteur plutôt qu’elle ne les lui montre ; il les comprend plus qu’il ne les voit. Aussi le consciencieux écrivain se croit-il toujours obligé d’exposer tous les antécédens de ses personnages, de scruter les motifs de leurs actions, de démêler ce qu’il y a de bon et de mauvais dans leurs sentimens. Quand il s’en dispense, il croit devoir donner une excuse valable. « Si celui-ci (Uitenbogaerd) était un des personnages principaux dans notre roman, nous ne craindrions pas de donner notre sentiment sur son compte ; mais il ne fait que passer devant nos yeux pour ne plus revenir. » Il faut cela pour que Mlle Toussaint croie pouvoir se dispenser de prononcer son jugement sur Uitenbogaerd.

Le grand mérite de ce livre, c’est d’être écrit sérieusement, mérite trop rare de notre temps, quand la plume court pour ainsi dire toute seule sans que la conscience de l’écrivain s’occupe du chemin qu’elle fait, et sauvent sans que sa volonté se mêle de la diriger.

Un caractère remarquablement dessiné est celui de Reingoud. Ce personnage, qui fut l’ame du gouvernement de Leicester et succomba sous les malédictions du parti national et la haine de Barneveld, joue un rôle principal dans le roman, et a fourni à l’auteur le sujet d’une création véritablement forte et profonde. Sans principes, sans croyances, mais plein d’habileté et de courage, se dévouant à une cause non par enthousiasme pour cette cause, mais seulement parce que son sort est lié à elle, s’acharnant dans la lutte parce qu’au bout il y a la ruine ou le triomphe, dominant ou effrayant ceux qui le haïssent, séduisant les uns, faisant ployer les autres, sans pitié, sans colère, sans entrailles, excepté pour sa petite-fille, qu’il a d’abord repoussée, et dont la grace innocente l’a vaincu : tel est Reingoud. Cette figure, qui plane sur tout l’ouvrage, est touchée de main de maître. Né en Brabant, ancien serviteur d’Egmont, élève et instrument de Granvelle, après la chute du gouvernement espagnol qu’il avait servi, Reingoud s’était réfugié en Hollande, où il parvint, par son activité et son intelligence, à entrer dans les affaires, d’où ses antécédens le repoussaient. Abjurant