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jettent brusquement de côté et repartent au galop, à la grande admiration de la foule, à la grande frayeur de ceux qui ne sont pas familiarisés avec ce passe-temps équestre. Malheur au cavalier non suffisamment encore affermi sur sa selle qui se risque imprudemment dans une pareille bagarre ! A peine arrivé dans la pampa (plaine), pendant qu’il chemine tranquillement au petit paso[1], de sa monture, un cri part tout à coup derrière lui, le galop effrayant d’un cheval se fait entendre, et avant qu’il ait seulement eu le temps de retourner la tête, il est saisi au milieu du corps par un bras d’airain, enlevé comme une plume par quelque sambo qui l’asseoit en riant sur le cou de son propre cheval sans pour cela ralentir sa course ; puis, quand le géant américain a bien fait admirer son adresse et sa force, i dépose tranquillement le pauvre cavalier à terre, en l’invitant seulement à se tenir mieux une autre fois. Si par hasard le ginete objet de cette bizarre provocation résiste au premier choc, alors une lutte courte, rapide, animée, s’engage entre les deux cavaliers. Debout sur leurs étriers, le corps incliné légèrement, les bras raidis et tendus l’un vers l’autre, ils se saisissent, se pressent, s’ébranlent, ils cherchent à s’enlever de selle, pendant que les deux chevaux, lancés côte à côte et comme s’ils s’animaient eux-mêmes sous l’effort de leurs maîtres, fuient de toute la vitesse dont ils sont capables et disparaissent bientôt au milieu d’un épais nuage de poussière.

Nous sommes enfin sur le plateau des Amancaës. Hommes et femmes ont mis pied à terre. Le premier moment de confusion passé, les carioles sont dételées et les chevaux sont attachés aux roues sans que personne ait à s’en occuper avant la fin de la journée. Alors les partidas se rassemblent, les amis se retrouvent, on étend les provisions sur l’herbe, et la viguela (guitare) aux notes grinçantes fait entendre les premiers accords de la zambacueca. Cette danse, la seule que le peuple connaisse au Pérou, mérite peut-être d’être décrite avec quelque détail. L’orchestre, des plus primitifs, se compose éternellement de la guitare qu’un des assistans, avec un courage admirable en vérité, racle de toutes ses forces, en y mêlant les accords d’une voix assez peu harmonieuse et des paroles insignifiantes le plus souvent, quand elles ne sont pas d’une liberté grossière jusqu’au cynisme. Auprès du racleur de guitare, une boîte défoncée entre les jambes, un autre musicien de la même force ou à peu près, un chanteur en tout cas non moins impitoyable, marque à grands coups de poing la mesure sur sa caisse, sans doute en guise d’accompagnement. Ace bruyant et irrésistible appel, quelque sambo au teint plus ou moins foncé s’avance aussitôt au milieu du cercle que les spectateurs ont formé déjà,

  1. Espèce d’amble que les chevaux ont au Pérou, où l’on trouve que le trot fatigue.