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C’est ainsi que j’ai vu à Pasco un Indien très gravement occupé à voler à son compagnon une pièce de deux réaux (1 fr. 25 c.), pendant qu’un autre arrachait au voleur même une piastre forte cousue aux basques d’un magnifique habit rouge chargé de deux énormes épaulettes. Tout ce monde, du reste, déjà aux trois quarts ivre, criait et jurait contre le curé, qui faisait trop attendre la procession.

La procession commence enfin. Quelques cierges paraissent sous le porche de l’église ; mais la foule y est tellement pressée, qu’il est tout-à-fait impossible d’y pénétrer. Douze Indiens sortent d’abord : ils portent au bras gauche une espèce de petit écu ou bouclier en étoffe rouge, et à la main droite un long bâton garni d’argent. Des clochettes résonnent à leurs pieds et mêlent leur tintement au bruit des mille pièces de monnaie cousues à leurs costumes formés de haillons de toutes couleurs. Les douze Indiens se rangent en cercle à quelques pas de l’église. Deux d’entre eux se placent au centre, et alors commence une sorte de colloque, accompagné de danses et de chants, auquel prend part la foule des spectateurs. Les deux Indiens frappent la terre du pied, présentent tour à tour leurs écus ou leurs bâtons, sans cependant jamais quitter leur place, et se contentent de tourner sur eux-mêmes, aux refrains d’un air monotone et triste qu’aussitôt la foule entière répète en choeur. Cette danse est peut-être quelque vieille danse indienne très antérieure à la conquête des Espagnols. Quand elle est terminée, les douze Indiens prennent gravement la tête de la procession, qui peut enfin se mettre en marche, mais non sans être arrêtée par de fréquens intermèdes de danse et de chant. On parvient ainsi à faire le tour de la place, au milieu des pétards et des fusées qu’on lance de tous côtés. Deux images de saints ornées de fleurs, des femmes portant des cierges, le curé marchant d’un pas solennel sous les tentures fanées d’un vieux dais en compagnie du vicaire, les chantres, le bedeau et une douzaine de soldats déguenillés et pieds nus, s’efforçant en vain de garder leurs rangs sous la pression irrésistible de la foule, — voilà tout le cortège qui parcourt pendant près de deux heures, à certains jours consacrés par l’usage, les rues du petit village de Pasco. Quand la procession rentre, l’église est illuminée et resplendit de mille feux ; le curé monte en chaire. et après un sermon religieusement écouté la foule se disperse ; on court assiéger les boutiques d’eau-de-vie ; l’orgie, un moment interrompue, continue toute la nuit pour recommencer le lendemain de plus belle. Pendant trois jours, les processions, les danses, les festins, s’entremêlent ainsi sur la même place, dans les mêmes rues, au milieu d’un épouvantable tumulte. C’est là ce qu’on appelle une fête religieuse dans la sierra.

Les Indiens qui vivent épars dans les Cordilières appartiennent à la classe la plus pauvre de la population. La sierra compte dans ses gros