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l’idée rayonnante qu’ils se font de leur propre personne. C’est ainsi qu’à la face du public s’est un jour opérée la plus étrange apothéose qu’on ait jamais vue dans l’histoire des lettres. Le poète a joui de son vivant des délices d’une transfiguration apocalyptique ; il a posé sur un nouveau Thabor, et ce ne sont pas ses disciples qui lui ont dit, c’est lui qui a dit à ses disciples : Nous sommes bien ici, plantez-y ma tente ! L’école s’est agenouillée devant le maître, et le maître et l’école se sont renvoyé les coups d’encensoir avec une sympathie si engageante, que les profanes eux-mêmes mordaient presque à leur dévotion. Vous rappelez-vous ces vignettes que l’éditeur Renduel attachait dans ce temps-là aux frontispices de ses livres, ces profils éthérés perdus dans les nuages, ces maigres et mélancoliques figures qui regardaient lever la lune, drapées dans leurs longs manteaux et les cheveux au vent ? C’était le costume du Thabor. Une fois qu’il avait quitté pour ce costume dantesque son frac à boutons jaunes et son chapeau rond, le poète n’était plus du tout surpris de s’entendre raconter que le monde était dans la joie, parce qu’il venait, lui, poète, de donner son livre au monde pendant que Dieu donnait son printemps. Ou bien encore il daignait faire savoir à la foule d’en bas que sous l’impénétrable azur où plongeaient ses ailes, il n’y avait plus d’air respirable que pour lui qui montait, ou pour Dieu qui descendait. Je puis affirmer que je ne me permets pas en tout cela le plus petit mot pour rire. De très bonne foi, le poète en arrivait à croire qu’il coudoyait le bon Dieu sur plusieurs chemins ; il se fâchait même assez cavalièrement, si par hasard la rencontre le trouvait de mauvaise humeur

Et maintenant, Seigneur, expliquons-nous tous deux !

Voilà sous quel aspect nous ont d’abord apparu les Olympios ; mais ils n’ont été achevés, mais leur formation morale n’a reçu, pour ainsi dire, sa dernière couche que lorsqu’ils ont bien voulu se mêler d’une façon plus terrestre aux choses de leur époque et de leur pays : c’est la politique qui les a complétés. Ici frappons-nous un peu la poitrine et récitons notre meâ culpâ. Il ne sied pas sans doute d’être trop sévère vis-à-vis des pouvoirs abattus et des sociétés châtiées ; mais il ne faut pas non plus leur permettre de se rendormir sur leurs vieilles fautes et d’oublier que leurs malheurs ont été des punitions. Nous étions une société ennuyée, blasée, sans grande pensée dans l’esprit ou dans le cœur, livrée à toute la misère des petites agitations factices, absorbée d’étage en étage par la passion des jouissances matérielles ; nous n’avions ni le loisir ni le goût d’être difficiles en fait d’amusemens. Nous avons décerné à nos amuseurs une importance à laquelle nous nous sommes ensuite laissé prendre le plus sottement du monde.