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ou au budget, quelquefois même qu’un morceau de ruban. L’état : leur fut de moins en moins cruel.

Et cependant quel pitoyable spectacle ne nous offraient pas ces excessifs amours-propres affamés désormais d’alimens plus substantiels que ne l’avaient été jusque-là les vapeurs de leur gloriole ! J’ajouterai, quel triste enseignement national que cette phraséologie sans corps et sans ame appliquée selon les formules d’une poétique impuissante aux préoccupations les plus sérieuses de la patrie !

Oui, c’était un pitoyable spectacle de voir ces orgueilleux, ou extravagans ou vulgaires, se rattacher tous tant qu’ils pouvaient au char de l’état, et se donner ou recevoir mission de le tirer, de le pousser par un coin ou par l’autre ! Les ambitions ont été sans doute proportionnelles aux destinées, de même que la superbe qui, dans les têtes fameuses, grossissait jusqu’à faire brèche à la raison ne dédaignait pas, dans les rangs inférieurs, de s’allier à des calculs d’une sagesse très bourgeoise ; mais tous, sans distinction de grade, tous se disaient d’eux-mêmes à eux-mêmes par la bouche du plus illustre d’entre eux : « Lettrés, vous êtes l’élite des générations, l’intelligence des multitudes résumées en quelques hommes ; vous êtes les instrumens vivans, les chefs visibles d’un pouvoir spirituel, responsable et libre ! » Ce n’était pas, en effet, dans de moindres termes qu’il fallait, à croire M. Hugo, enseigner aux gens de lettres le sentiment de leur importance politique, et c’est parce que ces termes ne lui paraissaient que suffisans et naturels, qu’il a mérité de s’approprier et de retenir par-dessus tous les autres le beau nom d’Olympio. Le nom de lettrés, un nom sacramentel et sacerdotal, a dès-lors aussi remplacé dans sa langue celui de gens de lettres, et le fretin de la littérature a montré qu’il avait pleine conscience de son sacerdoce par la grande mine qu’il savait garder jusque sur les banquettes des antichambres officielles, quand il lui prenait fantaisie d’y fourmiller. Les bizarres comédies d’orgueil auxquelles nous avons assisté ! Orgueil mendiant chez les petits, orgueil délirant chez les maîtres ! Les petits nous ont rendu les gens de lettres de l’antique Lucien, ou bien quelquefois ces comédiens espagnols de Gil Blas, si familiers avec les grands seigneurs et si fiers de cette familiarité sans dignité. L’état est le seul grand seigneur auquel on puisse aujourd’hui décemment appartenir quand on éprouve le besoin d’appartenir à quelqu’un. Corneille disait, selon la convenance de son temps, et elle avait sa noblesse : Je suis à monsieur le cardinal ! On ne se figure pas les variations solennelles et majestueuses qui ont été brodées de nos jours par un certain nombre de gens d’esprit sur ce thème si simple : Je suis à monsieur le ministre ! Et pendant que ce manége de platitude et de vanité agitait les basses régions de la république des lettres, les maîtres faisaient en haut un bien autre fracas. Leurs imaginations, habituées