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la Société des Amis ; nous sommes à même de la juger d’après ses œuvres, et il se trouve que ces hommes, dont les principes ne pouvaient engendrer que fanatisme ou inertie, ont été dans leur vie privée des commerçans actifs et honnêtes, dans leur vie publique des promoteurs dévoués de toutes les idées de paix et de charité ; il se trouve qu’entre toutes les communions religieuses de l’Europe, celle des quakers a été la première à reconnaître comme vraies toutes les églises chrétiennes ; et si leur philanthropie n’a pas été exempte d’illusions, au moins n’a-t-elle jamais cessé de regarder du bon côté, en prêchant le respect de la loi et en cherchant un remède pratique aux souffrances du pauvre, non dans les révolutions et l’intervention de l’état, mais dans les institutions de prévoyance, la moralisation et l’éducation des classes indigentes.

Devant des prévisions aussi énergiquement démenties par les faits, il y a lieu, ce me semble, d’ouvrir une nouvelle enquête ; jetons donc un regard sur l’origine et les dogmes de cette société si long-temps méprisée. Pour les retrouver, il nous faudra marcher dans la poussière du passé, réveiller des questions théologiques bien oubliées maintenant : que cela ne nous effraie point. Si, dans les doctrines qui ont remué l’Europe pendant plus de deux siècles, on veut voir seulement ce qu’elles affirmaient, les définitions qu’elles donnaient de Dieu et du devoir, elles peuvent apparaître à juste titre comme des subtilités surannées. Si, au contraire, on envisage en elles ce qu’elles exprimaient, — les conceptions, les caractères, les tendances dont elles n’étaient que des manifestations, — tout change soudain, et on s’aperçoit qu’elles sont encore toutes vivantes. Entre ces systèmes théologiques et nos systèmes politiques, on découvre d’intimes relations. Le but des spéculateurs a changé ; mais on reconnaît vite que, si nos penseurs donnent telle ou telle solution au problème social, c’est uniquement parce qu’ils ont telle ou telle manière de concevoir l’homme, telle ou telle théorie, dont quelque vieille opinion religieuse était simplement aussi la conséquence et l’application dans un autre sens. Bien plus, les troubles au milieu desquels le quakérisme a pris naissance ne font pas seulement passer sous nos yeux des pensées sœurs de nos pensées ; ils nous présentent, sur un autre terrain, la lutte des forces vives qui se disputent à cette heure le gouvernement de la société. Tous les combattans de la France actuelle sont là, avec leurs projets et leurs illusions ; ils y sont avec le jugement de Dieu écrit sur leur front. On peut comparer la moisson sur laquelle ils avaient compté et la moisson que la force des choses a fait sortir de leurs semailles. La révolution d’Angleterre a consulté l’oracle pour l’instruction de tous, et je ne sache pas une autre page de l’histoire où il y ait autant d’indications à recueillir sur ce que nous pouvons attendre de nos réformateurs.