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assurément ; mais on espère, et surtout on donne à espérer aux violens du parti qu’en route la manifestation pacifique changerait de caractère, et c’est là ce que veut dire cette phrase : « qu’une fois de plus le peuple aurait fait preuve de sa résolution pacifique, appuyée par l’énergie de sa volonté. » Le peuple en effet, ce n’est pas tous ces messieurs qu’on envoie en procession à l’Élysée ; non, le peuple, on le trouvera en route. — Mais pacifique ! — Oh ! sans doute, toujours excité, toujours harangué, et toujours pacifique.

Et ceci nous rappelle une petite conversation, apocryphe fort probablement, entre le général Changarnier et un des officiers qu’on fait figurer dans la procession pacifique. « Vous sentez bien, général, que, si la loi est votée, nous ne pourrons pas, par honneur, nous dispenser de témoigner publiquement notre douleur. — Le général Changarnier, calme et poli, comme à son ordinaire : Oh ! je comprends cela. — Il nous sera bien difficile de ne pas faire une manifestation de nos sentimens, mais pacifiquement et sans armes.- Assurément.- Nous irons à l’Élysée ou à la colonne de la Bastille, pacifiquement, sans armes. — Oh ! tenez, mon cher… ne me dites plus à chaque mot votre sans armes ! car vous me donneriez l’envie de vous en fournir ! » Nous ne croyons pas un mot de cette conversation comme de beaucoup d’autres qu’on prête au général Changarnier ; il se fait dans ce moment beaucoup de légendes sur le général Changarnier, et nous ne nous en plaignons pas. Il n’y a que les hommes qui ont de l’ascendant sur l’esprit public qui aient une légende.

Nous devons maintenant arriver à la discussion de la réforme électorale, et en signaler les principaux traits.

On dit que nous sommes des ingrats envers le suffrage universel, que c’est le suffrage universel qui a sauvé la société en 1848, qui a ramené au pouvoir les hommes qui représentent les idées d’ordre et de modération, qui enfin a déféré la présidence au nom qui exprime le mieux l’ordre social rétabli et maintenu. Ceux qui parlent ainsi font une confusion volontaire entre le suffrage universel, qui est un système électoral, et le grand mouvement d’opinion publique qui, en 1848, a répudié les hommes du 24 février. Nous sommes convaincus qu’en 1848, et après six semaines du gouvernement provisoire, le pays, de quelque manière qu’il eût été interrogé, le pays eût répondu comme il a répondu. Nous sommes convaincus qu’au mois de décembre 1848, et après six mois du régime inauguré le 24 février, et qu’avait en vain essayé de corriger le général Cavaignac, le pays, de quelque façon qu’on l’eût fait voter, eût voté comme il a voté. Il y a des instans dans la vie des peuples où l’opinion publique a une telle force, qu’elle se fait jour à travers toutes les lois. Telle était en 1848 l’opinion qui, dans toute la France, repoussait les hommes du 24 février. Le suffrage universel a servi d’organe à ce sentiment universel. Le suffrage censitaire et le suffrage à deux degrés auraient eu le même effet, parce qu’il ce moment il fallait que l’opinion publique éclatât.

Nous ne sommes donc pas embarrassés de reconnaître les services que le suffrage universel a rendus en 1848 ; mais nous expliquons comment ces services ont été rendus. Oui, les hommes du 24 février demandaient au suffrage universel, par la voix des commissaires de départemens, une assemblée constituante socialiste ; le suffrage universel ne l’a pas donnée. Les hommes du 24 février demandaient au suffrage universel d’exclure les hommes qui