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Personne dans cette guerre sainte, dans cette expédition de Rome à l’intérieur, comme l’a si bien d M. de Montalembert, personne ne s’est épargné. M. de Lasteyrie, M. Baroche, M. de Montalembert, M. Thiers, M. Faucher, M. Berryer, ont pris partout l’offensive contre l’ennemi commun, et lui ont porté des coups décisifs. Nous venons de parler de M. de Montalembert. Pourquoi faut-il que la gloire nouvelle que M. de Montalembert s’est faite dans cette discussion nous rappelle le rôle étrange qu’y a pris M. Victor Hugo ? Nous aimons à être justes, et les étranges égaremens de tribune de M. Hugo ne nous feront pas oublier qu’il a écrit quelques-unes des plus belles odes de notre poésie moderne. Nous aimons à cacher l’orateur derrière le poète lyrique. Il est vrai que ces odes, qui sont la gloire de M. Hugo, ont été faites pour des causes bien différentes de celle à laquelle il s’est voué depuis quelque temps. Quand il chantait Louis XVII, le jeune roi martyr, le baptême du duc de Bordeaux, la mort du captif de Sainte-Hélène, il ne prévoyait pas à qui, hélas ! il donnerait les derniers hommages de sa muse. Et ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’en se faisant violent, il ne réussit pas même à se faire prendre au sérieux. M. Hugo s’est donc fait rouge ? disait-on devant un de ses confrères en poésie. — Non, il met du rouge. — A quelles déclamations démagogiques, tant qu’il sera seulement orateur, et à quelles violences d’action, s’il était jamais acteur, ce besoin de se faire prendre au sérieux pourrait pousser M. Hugo ! Jusqu’à quel point en lui la vanité blessée pourrait prendre les allures d’un caractère inflexible ! Ceux-là seuls le savent qui comprennent comment le manque de vérité dans l’esprit et dans le caractère peut, soit dans la littérature, soit dans la politique, faire à quelqu’un une destinée et une réputation contraires à sa nature. On confond si aisément la violence avec la force, la fièvre avec la vie ! Or, triste condition de quelques-uns des poètes de nos jours ! ils ont tout ou du moins ils ont beaucoup : seulement il leur manque d’être hommes. Ce sont des masques tragiques plus grands et plus retentissans qu’il n’appartient à la nature humaine ; mais l’habitude qu’ils ont de porter ces masques imposans et de parler par ces bouches sonores fait qu’ils se dispensent volontiers d’avoir leur visage et leur voix naturels. Ils sont toujours sur la scène et jamais à la ville ; voilà pourquoi de toutes les amères paroles que M. de Montalembert a laissé tomber sur M. Victor Hugo, la plus vraie, selon nous, c’est quand il lui a dit qu’il ne pouvait pas prendre ses discours au sérieux. C’est là en effet qu’est, dans M. Hugo, le vrai défaut de la cuirasse. Partout ailleurs la vanité le rend invulnérable. Le manque de vérité, voilà où la flèche peut l’atteindre.

Haeret lateri lethalis arundo.


Mais, hélas ! ne triomphez pas du coup que vous avez porté, ou plutôt pleurez-en, si vous avez quelque pitié des pervertissemens de l’ame humaine ; car pour retrouver ou pour avoir l’air d’avoir cette vérité qu’il n’aura jamais, sachez, encore un coup, que M. Hugo traverserait la brutalité et l’extravagance sans plus en frémir, hélas ! en politique, qu’il n’en a frémi en littérature.

Jamais l’invective antique, celle de Démosthène contre Eschine, celle de Cicéron contre Antoine, celle que permettaient les mœurs rudes et violentes de la place publique, celle que nous ne pouvions pas connaître avant 1848, n’a été plus rude, plus amère, plus belle, belle de la beauté de Némésis, que l’invective de M. de Montalembert contre M. Hugo. C’est, le chef-d’œuvre de l’insulte oratoire,