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plus littéraire qu’on ne le suppose ; enfin, j’ai tâché de rétablir la série des hommes qui ont acquis dans cet art, si inférieur qu’il soit, profit et renommée, depuis l’Athénien Pothein, contemporain et presque rival d’Euripide[1], jusqu’à Jean et François Brioché, Robert Powel, l’infortunée Charlotte Charke[2], Alexandre Bertrand, Bienfait et leurs plus récens successeurs, Séraphin et Guignol. Cela dit, et les personnes qui, sur la foi du titre, auraient eu la velléité de me lire bien et loyalement averties de l’austérité de mon programme, il ne me reste plus qu’à lever le rideau, à saisir les fils de mes petits personnages, et à emprunter à Addison, qui a chanté sur le mode virgilien Punch et les Puppet-shows (qu’il appelle un peu sèchement machinœ gesticulantes), le premier vers de son poème, que je transcris ici comme épigraphe :

Admiranda cano levium spectacula rerum.


I. - GENERALIES. - MARIONNETTE PRIMITIVE. - IDOLE. - SCUPTURE MOBILE.

Tout le monde sait que les marionnettes (je donnerai plus tard l’étymologie du mot, je ne m’occupe en ce moment que de la chose), tout le monde, dis-je, sait que les marionnettes sont des figurines de bois, d’os, d’ivoire, de terre cuite ou simplement de linges, qui représentent des êtres réels ou fantastiques, et dont les articulations flexibles obéissent à l’impulsion de ficelles, de fils métalliques ou de cordes de boyau dirigés par une main adroite et invisible. Charles Nodier, dans deux spirituels articles de la Revue de Paris[3], a posé en fait que la poupée est l’origine et le type évident de la marionnette. Il conclut de cette proposition hardie que les marionnettes sont contemporaines de la première petite fille, car celle-ci, avec son précoce instinct de maternité, a nécessairement inventé la première poupée. Rien n’est frais et gracieux comme l’analyse que l’ingénieux académicien a donnée de ce premier drame, qu’il appelle le Drame de la poupée, monologue, que dis-je ? charmant dialogue à une seule voix, où l’enfant prend si naturellement le ton et le maintien de la mère, faisant la leçon à la petite paresseuse ; à la petite gourmande, à la petite bavarde ! C’est bien là, en effet, le drame à son début. Il est vrai qu’on peut en dire autant de tous les jeux de l’enfance dans lesquels éclatent, sous mille formes, les jets puissans de l’instinct d’imitation. Si j’osais émettre un avis dans cette gravé question d’esthétique, je dirais que je n’admets

  1. Eustathe, tout en constatant l’infériorité de cet art, mentionne, à propos d’un vers du IVe chant de l’Iliade, le joueur de marionnettes Pothein, auquel il donne l’épithète de Περίπστος, connu de tous côtés. Voy. Comm. In Iliad., p. 457, édit, de Rome.
  2. Charlotte Charke était fille du célèbre poète et comédien anglais Cibber ; elle a laissé des mémoires où sont retracés tous les malheurs de sa vie.
  3. Cahiers de novembre 1842 et de mai 1843.