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toutes les parties de leur personne, qui obéissent aussitôt avec grace et mesure[1]. » Apulée, qui, au second siècle de notre ère, a traduit et un peu paraphrasé le traité De mundo, qu’il croyait d’Aristote, a ajouté quelques traits à ce tableau et a enchéri sur ces louanges « Ceux, dit-il, qui dirigent les mouvemens et les gestes des petites figures d’hommes faites de bois n’ont qu’à tirer le fil destiné à agiter tel ou tel membre, aussitôt on voit leur cou fléchir, leur tête se pencher, leurs yeux prendre la vivacité du regard, leurs mains se prêter à tous les offices qu’on en exige ; enfin, leur personne entière se montre gracieuse et comme vivante[2]. » Assurément, nous ne pourrons rien dire de plus expressif quand nous aurons à parler plus tard de la perfection des Burattini de Rome, des Fantoccini de Milan, et des prodiges de naturel et de souplesse opérés par les petits acteurs sortis des mains de Robert Powell, de la Grille, de Bienfait et de Séraphin.

Ces grands éloges d’Aristote et d’Apulée sont confirmés par un témoignage non moins hyperbolique, et qui vient d’un homme peut-être encore plus compétent. Galien, dans son traité d’anatomie, De usu partium, voulant faire comprendre par quel ingénieux mécanisme la nature attache les muscles aux os des membres, particulièrement à ceux de la jambe, n’a pas craint de comparer l’art divin du Créateur à celui que les constructeurs de marionnettes employaient, de son temps, pour assurer la justesse et la vivacité des gestes de leurs pantins[3]. « On ne reconnaît, dit-il, nulle part aussi bien tout l’exquis artifice de la nature que dans l’insertion des muscles de la jambe, qui descendent tous au-delà de la jointure jusqu’à la tête du tibia. De même que ceux qui font jouer des marionnettes de bois par de petites cordelettes adaptent ces fils à la tête de la partie qui doit jouer au-delà du point où ces parties se rencontrent et se joignent, ainsi la nature, bien avant que les hommes se fussent avisés de cette subtilité, a construit de la même sorte les articulations de notre corps[4]. »

Le rare degré de perfection qu’atteignirent les marionnettes dans l’antiquité explique comment des hommes tels que Platon, Aristote et Marc Aurèle ont fait de si fréquentes allusions à ce spectacle et emprunté à cet emblème de l’homme, jouet de ses passions ou de la destinée, tant de sages conseils et d’éloquentes comparaisons. Voici, pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, un beau passage que j’extrais

  1. Pseud. Aristot., De mundo, cap. VI, Oper., t. II, p. 376.
  2. « Illi qui ligneolis hominum figuris gestus movent, quando filum membri, quod agitari solet, traxerint, torquebitur cervix, nutabit caput, oculi vibrabunt, manus ad omne ministerium praesto erunt, nec invenuste totus videbitur vivere. » (Appui., De mundo, t. Il, p. 351 ; ed. Oudend.
  3. Galen., De usu pertium, lib. II, cap. XVI ; Op., ed. Kühn, p. 262, seq.
  4. Traduction de Dalechamp, un peu retouchée.