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Est-ce là d’ailleurs un fait nouveau, et qui ne date en Angleterre que des lois financières de 1846 ? Il y a des industries où, depuis trente ans, le taux des salaires est contenu entre des limites infranchissables : telle est, par exemple, la fabrication des cotonnades fines ou de ce qu’on appelle les articles de fantaisie. Ces articles continuent à être tissés sur des métiers à la main, les métiers mécaniques ne pouvant s’appliquer qu’imparfaitement à cette fabrication. Il est souvent arrive que les manufacturiers anglais ont reçu plus de commandes qu’ils n’en pouvaient exécuter ; souvent ils ne peuvent trouver, même à Bolton et dans les environs ; autant de tisseurs à la main qu’ils en voudraient employer, et cependant, depuis 1830, les salaires des tisseurs à la main n’ont jamais haussé. La raison en est simple : les articles de fantaisie anglaise se placent facilement, lorsqu’ils peuvent être livrés à un certain prix ; dès qu’ils dépassent cette limite ils rencontrent une concurrence écrasante, soit dans les articles similaires étrangers, soit même dans d’autres tissus anglais. Quelle que soit donc la demande, les manufacturiers anglais ne peuvent jamais augmenter le salaire des tisseurs, puisque cette augmentation, en élevant le prix des tissus, en arrêterait immédiatement la vente. C’est là encore une concurrence à laquelle les socialistes n’ont jamais songé, et nous demandons comment la panacée de M. Ledru-Rollin ou celle de M. Louis Blanc pourrait empêcher la concurrence étrangère d’imposer une sorte de maximum au prix de vente, et par conséquent au prix de fabrication de certains articles. Il est évident qu’il ne suffit pas de faire triompher le régime de la solidarité au sein d’un peuple, et que la solidarité universelle est la condition et le préliminaire indispensable de toute organisation socialiste du travail.

En dehors des industries où l’inévitable concurrence des nations entre elles impose aux salaires une limite infranchissable, les ouvriers anglais ont à lutter contre la concurrence des Irlandais et celle non moins redoutable des ouvriers de l’agriculture, qui ont dû, pendant quinze années, une augmentation indirecte de salaire au grand nombre de bras détournés du travail des champs par l’exécution des chemins de fer, et qui se rejettent aujourd’hui vers le travail des manufactures ; mais ce n’est là qu’un mal secondaire en présence de la concurrence que les ouvriers fileurs et tisseurs se sont créée à eux-mêmes. Dans une manufacture, chaque fileur a à côté de lui quatre aides, quatre enfans, qu’on appelle rapiéceurs, parce qu’ils ont pour fonctions de rattacher les fils à mesure qu’ils se brisent, et qui se préparent à être un jour aussi des fileurs. Admettons que sur ces quatre aides se trouve une jeune fille qui, devenue femme, reçoit une autre destination dans la manufacture, et qu’un des trois garçons abandonne cette occupation pour un autre métier : il n’en est pas moins vrai que