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et la disparition graduelle de sa population agricole. Nous savons que le marché intérieur n’entrait que pour un sixième dans la consommation totale des produits manufacturés de l’Angleterre ; néanmoins ce sixième représentait des centaines de millions, et suffisait à alimenter bien des industries. Ce sont là les industries qui souffrent le plus aujourd’hui, parce que le marché intérieur loin de se relever, est toujours allé en s’affaiblissant, preuve manifeste que la population agricole consomme de moins en moins, et que son bien-être a diminué. L’Angleterre continuera donc, sans contredit d’être le pays qui obtient le plus de produits agricoles avec la moindre surface de terre et avec le moindre nombre de bras. Sa richesse totale s’en accroîtra ; mais l’aisance générale n’en sera point augmentée, et nous ne savons si, comme nation, elle n’y aura pas plus perdu que gagné.

Ce qui a fait, dans le passé, la force de l’Angleterre et la stabilité de ses institutions, c’est qu’à côté d’une aristocratie puissante se trouvait une classe nombreuse de petits propriétaires, alors que partout en Europe le sol était exclusivement aux mains de la noblesse et du clergé. Ces petits propriétaires étaient assez aisés pour pouvoir s’instruire pour s’éclairer sur leurs intérêts : par conscience de leur dignité et de leur valeur personnelle, ils étaient incapables d’accepter le despotisme ; par besoin de l’ordre et de la tranquillité, ils étaient attachés aux institutions nationales. C’est l’existence de cet élément à la fois libéral et conservateur qui a donné à l’Angleterre du XVIIIe siècle cette physionomie toute particulière, et qui a empêché les agitations politiques les plus ardentes d’enfanter jamais une émeute. Cette même classe, également aisée et sobre, ayant le goût et l’habitude des économies, était capable de supporter de longs sacrifices, si elle n’en pouvait faire de considérables à la fois ; de là cette élasticité merveilleuse des finances, du commerce et de l’industrie. Une guerre, si prolongée qu’elle fût, n’atteignait jamais sérieusement les sources de la prospérité nationale à cause du nombre infini de ceux entre qui se répartissaient les charges. C’était le superflu qui était atteint et qui reparaissait avec retour de la paix.

Cette classe si importante et si précieuse, surtout pour sa valeur morale, a commencé à diminuer il y a près d’un siècle, et sa décroissance est devenue de plus en plus rapide ; aujourd’hui elle a presque entièrement disparu. Les grands propriétaires ont acheté à tout prix les petites propriétés qui se trouvaient enclavées dans leurs domaines, afin de rendre plus facile et moins coûteuse la surveillance de leurs bois et de leurs chasses. Ils arrondissent en outre incessamment leurs terres, — les uns par ambition politique, afin de s’assurer la suprême influence dans les élections du comté, — les autres pour accroître l’étendue de leurs fermes, et parce que la diminution du nombre des propriétaires