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Quand mêmes par des efforts surhumains et à force de privations, en renonçant au mariage et en s’interdisant le cabaret, il serait parvenu à réaliser quelques faibles économies, il n’en pourrait tirer aucun parti pour sortir de sa condition, ni même pour améliorer son sort. Il resterait toujours simple journalier, à la merci du premier chômage, et par conséquent la prévoyance, la sobriété, la retenue, lui sont inutiles. Qu’il y a loin de là à l’esprit d’activité et d’industrie, aux habitudes d’ordre et d’économie qui se développent spontanément chez l’homme à qui la possession ou même la location de quelques arpens de terre offre le moyen d’employer utilement tous ses loisirs !

Aussi la classe agricole est-elle en Angleterre un foyer permanent de paupérisme et de corruption. Il n’est presque point de journalier qui puisse se suffire d’un bout de l’année à l’autre sans recourir au workhouse ou à la paroisse, et la mort d’un chef de famille ne manque jamais de mettre plusieurs personnes a la charge de la paroisse. Pour obvier à l’accroissement graduel de la taxe des pauvres qui résulte de cet état de choses, beaucoup de propriétaires laissent systématiquement tomber en ruines toutes les chaumières et n’en élèvent plus, afin que les journaliers, dans l’impossibilité de se loger, soient obligés de changer de paroisse. Déjà les faubourgs de toutes les villes situées dans les comtés agricoles sont encombrés de journaliers qui, après avoir donné des loyers élevés de maisons inhabitables, ont été réduits enfin à se réfugier dans la ville voisine et à s’imposer la nécessité de faire chaque jour plusieurs milles pour aller chercher leur travail. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup d’entre eux se rejettent alors vers l’industrie et fassent aux ouvriers la concurrence que nous avons signalée. Aussi la population agricole tend-elle à diminuer. C’est ici le lieu de rectifier une étrange erreur de M. Ledru-Rollin, qui évalue à plus de dix-huit millions la population exclusivement agricole de l’Angleterre, alors que la population totale de l’Angleterre et du pays de Galles ne dépasse pas seize millions ! De 1800 à 1840, tandis que le reste de la population s’accroissait de vingt-cinq à trente pour cent tous les vingt ans, l’accroissement de la population agricole n’a été que de sept et demi pour cent ; et, comme depuis 1840 l’émigration annuelle a tendu à égaler et a fini par atteindre l’excès annuel des naissances sur les décès, il est probable que le prochain recensement constatera un commencement de décroissance dans la population agricole. Ajoutons que les recensemens décennaux, depuis 1800, ont constaté que la proportion de la population agricole à la population totale a été successivement de 33, 31, 29, 27 puis 100, et qu’elle est aujourd’hui de 25 pour 100 seulement. Si l’on divise le chiffre des habitans de l’Angleterre par le nombre d’acres de sa superficie, on trouve trois habitas par acre de terre ; néanmoins les comtés agricoles les plus populeux, ceux