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subdiviser en petites parcelles. Le mouvement, encore à sa naissance recevrait une grande impulsion de la réforme de la chancellerie. Tout dépend d’ailleurs de l’épreuve du libre-échange, qui se poursuit en ce moment. Si la lutte des intérêts aujourd’hui en opposition doit se terminer par une réduction considérable des fermages et une perte de revenu pour la grande propriété, il en résultera pour celle-ci, ainsi que nous l’avons expliqué, des embarras financiers qui la conduiront fatalement à l’aliénation d’une partie de ses domaines. Alors la petite propriété aura chance de renaître en Angleterre. Autrement les causes de paupérisme dont nous avons signalé l’existence et l’action continueront leur œuvre de dissolution et de dépopulation. La classe des propriétaires du sol se trouvera isolée en face d’une population agricole cinq fois plus nombreuse et animée d’un dangereux esprit d’hostilité. L’industrie manufacturière, par la ruine absolue du marché intérieur, perdra son point d’appui le plus solide, et deviendra plus sensible aux variations extérieures. Ses crises seront à la fois plus fortes et plus fréquentes.

Nous ne croyons pas nous abuser sur l’existence du mal, et ce n’est pas par optimisme que nous refuserons de croire à la ruine de l’Angleterre. Trois guerres serviles n’ont pas avancé d’un seul jour la chute de la société romaine, et il a fallu quatre siècles pour épuiser sa vitalité. Si les causes morales sont pour un empire un dissolvant plus irrésistible et plus sûr que la force matérielle, elles sont aussi beaucoup plus lentes à produire tous leurs effets. L’Angleterre, depuis un siècle, a vu à plusieurs reprises une partie de sa population se soulever sans que ces tourmentes passagères aient jamais causé d’alarmes aux esprits réfléchis. D’ailleurs, si en soixante années les progrès de l’industrie ont pu développer le paupérisme en Angleterre à tel point que la ruine de l’empire britannique en doive résulter prochainement, la France aurait quelque sujet de trembler, elle qui a fait plus d’un pas dans la carrière. Lille, Rouen, Elbeuf, Lyon et Mulhouse n’ont-ils pas aussi de déplorables secrets à raconter ? Quoiqu’en dise le socialisme, l’Angleterre n’est destinée à périr ni par la banqueroute ni par une jacquerie. La catastrophe qu’on se plaît à prédire n’arrivera pas, parce que les hommes politiques et les publicistes anglais ont encore trop de patriotisme et de sagesse pour préférer le langage de la passion à celui de la légalité et de la raison, parce que les combattans de chaque jour, ceux qui seraient plus excusables de se laisser emporter, les écrivains de la presse ne vont pas, comme le dit M. Ledru-Rollin avec un certain dédain, jusqu’au fond de leur pensée. Cela est vrai, et rien n’est plus honorable pour eux que de savoir ainsi garder toujours la mesure. Si la presse et la tribune ont une si grande autorité en Angleterre et y sont des élémens d’ordre et de progrès et non pas d’avilissement et d’anarchie, c’est qu’elles se souviennent sans cesse que