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retroussés qu’il portait encore au XVIIe siècle), était la coiffure des cavaliers du temps, le chapeau à la Henri IV. Enfin il n’y a pas jusqu’à certains traits caractéristiques du visage, jusqu’à l’humeur hardie, joviale, amoureuse du bon drille, qui ne rappellent, en charge ; les qualités avantageuses et les défauts du Béarnais. Bref, malgré son nom napolitain, Polichinelle me paraît un type entièrement national et une des créations les plus spontanées et les plus vivaces de la fantaisie française.

Mais Polichinelle acteur vivant n’est pas encore Polichinelle-marionnette. À quelle époque a-t-il passé des tréteaux dans les troupes des comédiens de bois ? Tout me porte à croire que cet événement a eu lieu vers 1630, et un document que M. Moreau, l’exact et ingénieux éditeur des Mazarinades, a bien voulu me signaler, donne une grande vraisemblance à cette conjecture. Parmi les nombreuses satires politiques qui inondèrent Paris en 1649, il en est une fort peu remarquée, intitulée Lettre de Polichinelle à Jules Mazarin. Cette lettre, quoiqu’en prose, se termine par les trois vers suivans en guise de signature « Pour vous servir, si l’occasion s’en présente,

Je suis Polichinelle,
Qui fait la sentinelle
A la porte de Nesle. »

Quel que soit le pamphlétaire caché sous ce nom fantastique, il demeure certain qu’en 1649 Polichinelle avait son théâtre établi sur la rive gauche de la Seine, vis-à-vis le Louvre, à la porte de Nesle, ce qui s’accorde exactement, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, avec l’adresse du fameux joueur de marionnettes, Jean Brioché ou Briocci[1], comme quelques-uns l’appellent.

Le peu que nous savons de l’ancien répertoire de Polichinelle confirme toute cette chronologie. Une tradition qui subsiste encore, et que se transmettent tous les vrais enfans de Paris, de Chartres et d’Orléans, a conservé l’air et quelques couplets de la fameuse chanson à Polichinelle : Je suis le fameux Mignolet, général des Espagnolets, dont les Guignol d’il y a vingt ans nous donnaient encore le régal dans les bons jours. Cette chanson rattache avec certitude Polichinelle au règne d’Henri IV et à nos longs démêlés avec l’Espagne. Une petite marionnette galonnée sur toutes les coutures, quelquefois Polichinelle lui-même parodiant Mignolet, entonnait la chanson suivante, qui était aussi populaire à la fin du XVIe siècle que la chanson de Marlborough à la fin du XVIIe. Elle est pourtant inédite, et je n’en puis donner ici que quelques strophes dont la rime et la mesure boitent un peu, mais dont le jet et le tour ne manquent pas d’un certain élan original :

  1. Entre autres, Krunitz, Encyclopédie, au mot Schauspiel.