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Il en est un surtout, à ridicule scène,
Fondé par Brioché, haut de trois pieds à peine ;
Pour trente magotins, constans dans leurs emplois,
Petits acteurs charmans que l’on taille en plein bois,
Trottant, gesticulant, le tout par artifices,
Tirant leur jeu d’un fil et leur vois des coulisses,
Point soufflés, point sifflés, de douces mœurs ; entr’eux
Aucune jalousie, aucun débat fâcheux.
Cinq ou six fois par jour, ils sortent de leur niche,
Ouvrent leur jeu : jamais de rhumes sur l’affiche.
Grand concours ; on s’y presse, et ces petits acteurs,
Fêtés, courus, claqués par petits spectateurs,
Ont pour premier soutien de leurs scènes bouffonnes
Le suffrage éclatant des enfans et des bonnes[1].

Ce trait et celui qu’y a ajouté M. Arnault dans sa jolie fable, le Secret de Polichinelle,

Les Roussel passeront, les Janots sont passés,
Lui seul, toujours de mode, à Paris comme à Rome,
Peut se prodiguer sans s’user ;
Lui seul, toujours sûr d’amuser,
Pour les petits enfans est toujours un grand homme[2].

Ces traits, dis-je, qui portaient juste en 1777 et en 1812, quand écrivaient Lemière et Arnault, n’auraient pas eu la même vérité au XVIIe siècle, ni surtout pendant les trente premières années du XVIIIe, où les marionnettes furent un instrument de fine critique littéraire et quelquefois d’opposition politique. Le 7 février 1686, le procureur général au parlement de Paris, Achille de Harlay, adressa au lieutenant de police, M. de la Reynie, le billet suivant que le hasard m’a fait rencontrer dans des papiers relatifs à la révocation de l’édit de Nantes :

« A monsieur de la Reynie, conseiller du roy en son conseil, etc. — On dit ce matin au Palais que les marionnettes que l’on fait jouer à la foire Saint-Germain y représentent la déconfiture des huguenots, et comme vous trouverez apparemment cette matière bien sérieuse pour les marionnettes, j’ai cru, monsieur, que je devois vous donner cet avis pour en faire l’usage que vous trouverez à propos dans votre prudence[3]. »

Vers cette époque, un nommé Alexandre Bertrand, maître doreur et faiseur de marionnettes si habile en son métier, que presque tous les joueurs se fournissaient près de lui, résolut de conduire et de faire parler lui-même ses petites figures ; il loua donc, de moitié avec son frère, une loge dans l’impasse de la rue des Quatre-Vents[4]. En 1690,

  1. Les Fastes, poème, livre III.
  2. Fables, Paris, 1819, liv. I, fable 7, p. 11.
  3. Papiers relatifs aux protestans ; manuscrits de la Bibliothèque nationale.
  4. Voyez Mémoires pour servir, etc., t. I, p. 90.