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doutons que, lorsqu’elle lui apparaissait dans toute sa sévérité morale, avec l’esprit d’indépendance qui l’anime, avec les limites qu’elle impose à toute autorité humaine, elle fût entièrement de son goût. Dans le fond de la pensée évangélique, il retrouvait encore trop de philosophie. Du sein de la conscience, il voyait renaître la liberté. Lui qui ne put vivre en partage de pouvoir avec le plus bénin des papes, il n’eût pas long-temps vécu en bonne amitié d’intelligence avec un grand esprit, chrétien dans toute la force et l’étendue du terme. Il eût rencontré là des rapports d’égalité qu’il n’aurait pu tolérer. Si cet antagonisme s’était trouvé sur son chemin, s’il y avait eu place sous son règne pour des Athanase ou des saint Bernard, c’est alors que le monde eût assisté à de grands combats. M. de Chateaubriand a-t-il pensé, par hasard, avoir donné un de ces spectacles ? A-t-il pensé avoir résumé en lui l’ordre moral, tandis qu’il voyait dans Napoléon la représentation de l’ordre matériel ? Il se serait gravement trompé. Sa religion poétique convenait parfaitement à la religion politique de l’empereur. Le souverain se sentait la main sur elle et la dominait encore de toute la tête. Une religion extérieure et brillante, qui aurait diverti les imaginations, garanti les intérêts, et lui aurait abandonné les consciences, cela faisait très bien son affaire. C’eût été un aliment pour l’exaltation des têtes jeunes et vives et un préservatif pour le bon ordre de la société. Voilà pourquoi il tenait tant à envoyer l’auteur du Génie du Christianisme secrétaire d’ambassade à Rome. C’était le complément du concordat. Une œuvre d’art gracieuse correspondait assez exactement a un acte du gouvernement sensé.

Seulement l’œuvre de l’empereur, fondée sur le bon sens, s’est consolidée en durant ; celle de M. de Chateaubriand, confiée à l’imagination, s’est égarée sur les pas de ce guide aventureux. L’église catholique, rétablie matériellement par le concordat, a affermi et étendu son empire. La réaction religieuse, provoquée par le Génie du Christianisme, qui n’avait pas pénétré à une très grande profondeur dans le sol et qui avait plus rapidement porté des fleurs qu’elle ne pouvait pousser de racines, n’a pas tardé à se dénaturer. D’un peu frivole qu’elle était dans l’origine, elle est bientôt devenue profane et plus tard sacrilège. M. de Chateaubriand avait dégagé la poésie du christianisme : la poésie n’a pas tardé à s’y faire maîtresse, et à le traiter comme son bien. Elle y a ajouté, elle l’a élargi, assoupli, énervé à sa fantaisie. Il avait établi des comparaisons qui manquaient un peu de respect entre les charmes de la vérité et ceux de l’erreur. Les comparaisons ont tourné en confusion et en mélange. Il avait élevé, dans les Martyrs, des autels à la fois au Dieu des chrétiens et aux dieux d’Homère, si bien parés l’un et l’autre qu’on hésitait entre eux, mais assez distincts cependant pour qu’on ne pût pas s’y méprendre. Ses