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absolu lui répugnait, et il s’applaudit d’avoir trouvé dans un autre ami ; son camarade d’imprimerie, le bon Loiseau, un caractère tout spiritualiste à opposer aux sentimens épicuriens du cordelier. Toutefois, entre Gaudet et Loiseau, il y avait une moyenne à prendre. Loiseau, quoique philosophe, croyait au Dieu rémunérateur et même à des anges ou esprits, acolytes divins, dont le célèbre Dupont de Nemours a voulu depuis prouver l’existence, en dehors de toute tradition religieuse. L’aridité du naturalisme primitif se trouvait ainsi corrigée par certaines tendances mystiques où tombèrent plus tard Pernetty, d’Argens, Delille de Salles, d’Espréménil et Saint-Martin. Si étranges que puissent sembler aujourd’hui ces variations de l’esprit philosophique, elles suivent exactement la même marche que dans l’antiquité romaine, où le néoplatonisme d’Alexandrie succéda à l’école des épicuriens et des stoïciens du siècle d’Auguste.

Quelque faible que puisse être la valeur des idées philosophiques de monsieur Nicolas, il était impossible de ne pas les indiquer dans l’appréciation de ses œuvres littéraires, car Restif est de ces auteurs qui n’écrivent pas une ligne, vers ou prose, roman ou drame, sans la nouer par quelque fil à la synthèse universelle. La prétention à l’analyse des caractères et à la critique des mœurs s’était manifestée déjà dans les trois ou quatre romans obscurs qui précédèrent le Pornographe ; à dater de ce livre, les tendances réformatrices se multiplièrent chez l’auteur, grace au succès qu’il avait obtenu ; après le Mimographe, voici encore l’Anthropographe et le Gymographe, l’homme et la femme réformés, puis le Thesmographe et le Glossographe, concerant les lois et la langue.

Les deux premiers s’éloignent peu des idées de Rousseau. À l’exemple du philosophe de Genève, Restif ne voit d’autre remède à la corruption que le séjour des champs et les travaux de l’agriculture ; toutefois il s’abstient de blâmer les spectacles et les arts. Mais où est le mérite de la philosophie, si elle ne trouve d’autre moyen de moralisation sociale que l’anéantissement des villes ? Faut-il donc supprimer les merveilles de l’industrie, des arts et des sciences, et borner le rôle de l’homme à produire et à consommer les fruits de la terre ? Il vaudrait mieux sans doute chercher à établir des principes de morale pour tous tes états et pour toutes les situations.


III. – LES OEUVRES CONFIDENTIELLES DE RESTIF.

À côté des romans à prétention philosophique viennent sans cesse se placer dans la collection de Restif d’autres romans que nous avons déjà caractérisés, et qui ne sont que des chapitres d’une même confession : on pourrait appeler ces récits les oeuvres confidentielles de Restif. C’est à ce groupe qu’appartient le livre appelé les Mémoires de M. Nicolas,