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plus tard à être le seul à les vendre : Les libraires l’aimaient peu, parce qu’une fois introduit dans leurs maisons, il racontait l’histoire galante de leurs femmes, s’éprenait de leurs filles, en faisait le portrait minutieux et parlait de leurs aventures. Ce n’était pas toujours un voile suffisant pour la curiosité que l’anagramme des noms qu’il employait volontiers. Mérigot devenait Togirém ; Vente, Etnev ; Costard, Dratsoc, ainsi de suite… si bien qu’il ne faut pas s’étonner de trouver sur ses derniers livres cette simple désignation : « Imprimé à la maison, et se vend chez Marion Restif, rue de la Bûcherie, no 27. » Ceci explique en partie le peu de succès de ses derniers ouvrages et la résolution qu’il prit de faire paraître le plus remarquable d’entre eux, les Lettres du Tombeau, sous le nom de Cazotte, qui du reste avait coopéré au plan de cette œuvre tout empreinte d’illuminisme.

On a dit à tort que Restif était mort dans la misère. La chute des assignats lui avait fait perdre ses économies ; le peu qu’il tirait de ses livres pendant la révolution le réduisait souvent à une gêne rendue plus pénible par ses charges de famille ; mais quelques amis, Mercier, Carnot et Mme de Beauharnais, le relevèrent dans ses momens les plus critiques, et, lorsque l’état devint plus tranquille, on lui procura une place de 4,000 francs, qu’il remplit jusqu’à sa mort, arrivée en 1806.

Cubières-Palmezeaux publia, en 1811 un ouvrage posthume de Restif intitulé : Histoire des Compagnes de Maria. Le premier volume est consacré en entier à une appréciation littéraire, qui, dans beaucoup de points, est spirituelle et bien sentie. Cubières, cite un trait qui prouvera que Restif, bien que communiste, n’était pas un ennemi de la monarchie. Il avait à la convention nationale un ami qu’il aimait et estimait depuis long-temps : Le jour de la condamnation de Louis XVI, Restif alla, avec un pistolet dans sa poche ; attendre son ami sous les portiques, et lui dit, quand il le vit sortir de l’assemblée « Avez-vous voté la mort du roi ? — Non, je ne l’ai pas votée. — Tant mieux pour vous, reprit l’écrivain, car je vous aurais brûlé la cervelle. »

L’œuvre complète de Restif de la Bretone s’élève à plus de deux cents volumes. Nous n’avons pas compris dans notre énumération quelques romans-pamphlets tels que la Femme infidèle et Ingénue Saxancourt, dirigés l’un contre sa femme Agnès Lebègue, l’autre contre son gendre Augé. Cette rage de vouloir constamment prendre le public pour arbitre et pour juge de ses dissensions domestiques était devenue, dans les derniers temps de la vie du romancier, une véritable maladie de celles que les médecins rangent parmi les variétés de l’hypocondrie. On conçoit qu’une injustice aveugle a pu résulter de cette disposition. Du reste, sa femme elle-même le comprit ainsi, car, dans une lettre adressée à Palmezeaux, qui lui demandait des renseignemens sur le caractère de son mari, on ne trouve que des éloges sur sa bienfaisance