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On dirait les propos d’une femme âgée qui, tout en médisant des mœurs de la génération nouvelle, lance, par habitude une œillade oblique à quelque jeune homme.

Ce n’est là, au fond, qu’un trait de plus du caractère général que M. de Chateaubriand a manifesté, une prétention universelle à tous les genres d’intelligence. En fait de facultés intellectuelles, la Providence l’avait gâté ; s’il est permis de le dire, elle lui avait en quelque sorte tendu un piège, et il n’est pas le seul qui s’y soit laissé prendre. Son talent d’écrivain lui fit illusion sur toutes ses autres facultés. En dépit de ses prétentions à la qualité d’homme politique, d’historien et de penseur, M. de Chateaubriand reste et restera avant toutes choses un grand écrivain. À part quelques défauts, qui n’étaient pas inhérens à sa manière d’écrire, et qu’il a recherchés dans le but de faire un effet exagéré, c’est un écrivain de la grande école, du bon temps de la langue française, de ce temps où la lucidité faisait le mérite principal du style, où on ne pouvait écrire qu’à la condition de se comprendre bien soi-même et de se faire bien comprendre des autres. Le style de M. de Chateaubriand est net avant même d’être brillant. Alors même que le fond des idées est parfois vague, le contour de la phrase est toujours précis. Chaque membre a son sens déterminé, chaque mot, même étrange, a sa valeur. Les combinaisons de mots sont quelquefois forcées, jamais jetées à l’aventure. Parfois le style même a fait à la pensée une heureuse violence et l’a forcée de s’éclaircir en s’exprimant. Lorsqu’aux premiers jours de la restauration M. de Chateaubriand se mit à l’œuvre pour traiter de politique, cette heureuse manière d’écrire fit un effet inattendu. Cette phrase acérée, ce tour net, relevé à des temps justes par une métaphore pleine d’éclat, appliqués à des sujets long-temps défendus, ravirent un public fatigué de silence, avide de publicité. Cette voix brillante avait je ne sais quoi de strident qui lui donnait un immense écho. Il n’en fallut pas davantage à M. de Chateaubriand pour se croire transformé en homme d’état, et surtout, comme il le dit : avec une complaisance mal déguisée sous une apparence de dédain, en homme positif et pratique. Il se trompait. S’il en eut parfois le langage, le fond lui manqua toujours. Il écrivit bien sur les affaires, il ne les fit jamais bien. Une étude attentive de ses écrits le démontre. Il suffit de relire ses livres de doctrine politique : à première vue, ils abondent en idées sensées vivement exprimées. Regardez de près : que d’incohérences ! que d’antithèses puériles ! Le bon sens, la raison, sont pour ainsi dire d’emprunt et à la surface ; la chimère et l’inconséquence sont au fond ; on dirait que ce sont les paroles bien tournées qui ont suggéré les pensées justes, et que le besoin d’être intelligible a donné à l’intelligence une extension momentanée, qui, l’instant d’après, l’abandonne. Même spectacle dans ses dépêches du congrès de Vérone :