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il est impossible de savoir au juste la législation, les ressources et l’ethnographie. La Russie, par exemple, est de ce nombre ; la Turquie de même, à plus forte raison. Admettons que le gouvernement russe connaisse, dans ses plus minces détails, sa constitution, le chiffre exact de son budget et de son armée assurément il n’en fait du moins connaître que ce qu’il a intérêt que l’on en sache et dans la forme qui convient à ses vues. Quant au gouvernement turc, il serait sans doute fort embarrassé de fournir des informations positives sur les produits de son sol et le mouvement de son commerce, et plus encore sur les coutumes très diverses des peuples disséminés dans le sein de l’empire ottoman.

Un des penchans auxquels la statistique cède le plus volontiers, c’est l’exagération ; l’on comprend que parfois le patriotisme des savans de chaque nation ou l’intérêt des gouvernemens les y pousse. M. Guibert l’avait sans doute remarqué. En effet, parmi les chiffres qui ont couru dans le monde officiel, il a choisi les plus modérés ; les données qu’il a recueillies résument et en quelques points même corrigent les derniers travaux de la statistique dans chaque pays.

Après avoir constaté, dans le Dictionnaire de M. Guibert, ce mérite rare d’une exactitude scrupuleuse, nous devons reconnaître aussi les innovations heureuses que l’auteur a introduites dans le plan de son ouvrage et spécialement dans l’orthographe des noms. D’habitude, on le sait, chaque nation traduit dans sa langue le nom des contrées ou des villes étrangères. Quelquefois cette traduction est logique, c’est-à-dire qu’elle reproduit exactement le sens du mot étranger, lorsque nous disons, par exemple, Angleterre pour England. Quelquefois elle l’altère légèrement ; c’est ainsi que nous écrivons Allemagne pour Deutschland, littéralement pays des Teutons. En d’autres occasions, elle n’est qu’une reproduction imparfaite des sons comme dans le mot Autriche, qui, présente une similitude manifeste avec celui d’OEsterreich (empire d’Orient), mais qui n’en fait nullement soupçonner le sens. Quant aux noms de ville en particulier, tantôt, nous la revêtons d’une terminologie française, tantôt nous leur conservons leur dénomination étrangère. Si, par exemple, pour London nous disons Londres, nous écrivons d’autre part avec les Anglais Manchester et Liverpool. M Guibert a adopté sagement une orthographe uniforme, et il s’est décidé, quant aux noms étrangers, en faveur de l’orthographe originale ; son système n’a pas seulement l’avantage de la logique et de l’uniformité ; il en a un autre, en quelque sorte politique. Les questions de races dont on connaît aujourd’hui la vivacité se réduisent à des questions d’idiomes ; les idiomes opprimés réclament contre les idiomes conquérans l’égalité des langues. Ceux-ci généralement ont dénaturé, de manière à les rendre entièrement méconnaissables, les noms des villes et des contrées soumises. Le nom imposé par les vainqueurs a prévalu dans la science officielle. Le nom primitif, aborigène, est resté en usage dans le peuple, qui, le plus souvent, n’en connaît point et quelquefois ne veut point en reconnaître d’autre : Vous voyagez, je suppose, en Hongrie, vous parlez de la ville d’Ofen ; aucun paysanne saura vous comprendre, et tout lettré magyar vous tournera le dos avec mépris : Ofen n’est que le nom officiel et odieux, le nom allemand de Buda ; le peuple et les traditions magyares ne donnent point d’autre nom à la capitale de la Hongrie. La confusion sera plus grande encore si vous parcourez la Transylvanie, où plusieurs