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place d’honneur est toujours occupée par l’inscription perse, qui est invariablement la première à gauche. Cette place était naturellement donnée par le vainqueur à l’idiome de la nation dominatrice. Ce système de tablettes triples est d’ailleurs répété sur tous les points de Persépolis où il se trouve des inscriptions.

Une particularité d’un ordre tout différent que présentent ces piliers, c’est qu’ils sont couverts de noms européens gravés profondément dans la pierre. Il semble que ceux qui les y ont écrits aient eu la prétention, grace à la solidité de ces murs, de faire avec eux parvenir aux âges futurs le souvenir de leur passage à Persépolis. Ces nobles et grandioses tablettes de pierre sont couvertes de signatures anglaises comme le plus vulgaire des albums. Parmi les noms qu’on n’a pas craint de graver sur les restes du palais de Xercès, on en remarque bien peu qui rappellent des voyageurs célèbres. Nous lûmes cependant ceux de deux diplomates anglais, qui ont laissé de leur passage en Perse des traces plus glorieuses que ce singulier visa apposé au bas des colosses de Persépolis. L’un est sir John Malcolm, ambassadeur auprès de Feth-Ali-Châh, en 1807, qui a écrit une excellente histoire du pays. L’autre est le charmant auteur du Gil Blas persan, d’Hadji-Baba, Morier, qui, à son talent d’écrivain, joignait celui de l’observateur et du peintre de mœurs. Deux Français seulement ont laissé leurs signatures à côté de tous ces noms anglais. C’étaient deux de nos anciens compagnons de voyage, MM. de Beaufort et Daru, officiers attachés avec moi à la mission de M. de Sercey, en 1839. Nous ne remarquâmes pas à Persépolis un seul nom français antérieur à cette époque, et cependant les premiers explorateurs de ces contrées étaient Français. Thévenot en 1650, Chardin dix ans plus tard, et Tavernier avaient frayé les chemins de la Perse à une époque où l’on ne s’aventurait guère dans des entreprises aussi hasardées que l’était, il y a deux siècles, un voyage dans l’intérieur de l’Asie. Plus tard, en 1807, quand Napoléon conçut l’idée d’attaquer l’Angleterre dans ses possessions de l’Inde, une ambassade française séjourna en Perse ; elle avait pour mission de décider le châh à se mettre à la tête d’une armée qui, levant l’étendard national à côté de celui de Mahomet, aurait envahi les rives de l’Indus et du Gange, et poussé les Anglais dans les flots de la mer indienne. La diplomatie de Napoléon n’avait pas dans les divans tenus au fond de l’Asie l’ascendant qu’exerçaient ses canons sur les champs de bataille de l’Europe : l’entreprise échoua ; mais cette ambassade du général Gardanne était composée d’officiers distingués. Pourquoi ne trouve-t-on pas à Persépolis les noms de Fabvier, Trezel, Lami ? N’ont-ils pas, plus que les Anglais, des titres à ce que la Perse conserve le souvenir de leur passage ? Tandis que ceux-ci, n’ont rien négligé, depuis quarante ans, pour amoindrir, pour tuer ce pays, appauvrir son peuple, les officiers fran-