Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pontifes du socialisme, » dont nous n’avons que les disciples, et l’Italie que les séides. L’Angleterre ! M. Donoso Cortès signale généreusement l’égoïsme de ce grand peuple qui, du sein de son calme, encourage chez les autres ou laisse encourager en son nom l’esprit révolutionnaire. Quant à la Russie, la marche ascendante de sa puissance n’échappe pas à l’œil du clairvoyant publiciste ; il est de ceux qui depuis long-temps ont pressenti les destinées de cet étrange empire, à qui tout a réussi depuis un siècle, à qui tous les démembremens de peuples, tous les cataclysmes de l’Europe, ont porté quelque accroissement. La prépondérance actuelle de la Russie n’est que la conséquence d’une politique déjà presque séculaire. Ce n’est point, aux yeux de M. Donoso Cortès, que la Russie souhaite une guerre immédiate pour confirmer et étendre encore cette prépondérance ; l’heure serait trop défavorable pour elle. Elle aurait à lutter contre les races allemandes représentées par la Prusse, contre les races latines représentées par la France, contre la race anglo-saxonne représentée par l’Angleterre, et peut-être le résultat serait-il alors de la rejeter tiers l’Asie. L’heure où cette guerre deviendra imminente et nécessairement favorable à la Russie sonnera pourtant, mais dans quelles conditions ?


« Il faut, premièrement, dit M. Donoso Cortès, que la révolution, après avoir dissous la société en Europe, dissolve les armées permanentes ; secondement, que le socialisme, en dépouillant les propriétaires, éteigne le patriotisme, parce qu’un propriétaire dépouillé n’est plus patriote, il ne peut pas l’être ; quand la question se pose de cette manière suprême et terrible, il n’y a plus de patriotisme dans l’homme. Troisièmement, il faut que s’achève cette entreprise de la confédération de tous les peuples slaves sous l’influence et le protectorat de la Russie. Alors, quand les armées permanentes auront été dissoutes par la révolution en Europe, quand tout patriotisme aura été éteint par les révolutions socialistes, quand, à l’orient de l’Europe, se sera réalisée la grande confédération des peuples slaves, quand, dans l’Occident, il n’y aura que deux armées en présence, celle des spoliateurs et celle des spoliés, alors sonnera à l’horloge des temps l’heure de la Russie ; alors le monde assistera au plus grand châtiment dont l’histoire conserve le souvenir, et ce châtiment terrible sera celui de l’Angleterre : ses navires ne lui serviront de rien contre l’empire colossal qui d’une main touchera à l’Europe et de l’autre à l’Inde ; elle tombera vaincue, et son dernier en retentira au pôle. Ne croyez pas, messieurs, que les catastrophes s’achèvent là : les races slaves ne sont pas aux peuples de l’Occident ce qu’étaient les races germaniques au peuple romain ; non, les races slaves sont depuis long-temps en contact avec la civilisation, ce sont des races demi-civilisées. L’administration russe est aussi corrompue que l’administration la plus civilisée de l’Europe, et l’aristocratie russe est aussi civilisée que l’aristocratie la plus corrompue de toutes. Eh bien ! messieurs, la Russie, jetée ainsi au milieu de l’Europe conquise et abattue, absorbera elle-même par tous les pores cette civilisation à laquelle elle a goûté et qui la tue : la Russie ne tardera pas à tomber en putréfaction. Alors, messieurs, je ne sais quel est le remède que Dieu tient en réserve pour cette corruption universelle. »