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pour Horace, la gloire qu’elle espère, son ivresse et son extase en écoutant ses vers ; et comme Beroë, en suivante expérimentée, lui vante la richesse et la puissance des hommes qu’elle a éconduits, des amans qu’elle dédaigne, qui mettraient à ses pieds tous les trésors de l’Asie, et lui demande comment elle peut aimer un homme qui n’est rien dans l’état, un homme si pauvre, un homme qui passe son temps à compter le nombre et la valeur musicale des syllabes, Lydie lui répond comme Marion de Lorme dans son salon de Blois : Je l’aime. Le sentiment est vrai et l’expression simple. Malheureusement le sentiment n’a rien de nouveau, et l’expression ne l’a pas renouvelé. C’est une réminiscence trop évidente pour que l’auditoire ne la salue pas comme une vieille connaissance. Je ne conteste pas à M. Ponsard le droit de mettre dans la bouche de Lydie un sentiment exprimé par Marion ; seulement j’aurais voulu qu’il prît la peine de le rajeunir par une forme empreinte d’un caractère particulier.

Enfin Horace arrive, et toute la colère de Lydie tombe devant lui. Calaïs est oublié. Alors commence la mise en scène de la neuvième ode du troisième livre. Cette mise en scène, je l’avoue, n’est pas mal conçue, au début du moins ; mais je ne puis admettre que Lydie, justement irritée contre Horace, qui lui préfère Chloë, pousse la complaisance jusqu’à se laisser embrasser par l’amant que tout à l’heure elle voulait bannir, car, si elle est de bonne foi, Horace doit s’en apercevoir et ne pas s’alarmer plus long-temps du dépit de sa maîtresse ; si elle joue la comédie et feint de prendre Horace pour Calaïs, Horace, qui n’est pas d’âge à manquer de bon sens et de sagacité, a barre sur elle, et doit se railler de sa supercherie. De toute manière, le moment où Lydie prend Horace pour Calaïs donne lieu aux plus justes remontrances. Toutefois ce n’est pas le reproche le plus sévère que mérite l’œuvre nouvelle de M. Ponsard. L’auteur, en effet, au lieu de limiter sa tâche, comme nous devions le penser, à la réconciliation d’Horace et de Lydie, ajoute au dénoûment réel, au dénoûment prévu, un dénoûment supplémentaire et d’un goût très contestable, auquel Horace n’a jamais songé. Lydie demande à Horace ce qu’elle doit faire de Calaïs, Horace demande à Lydie ce qu’il doit faire de Chloë, et les deux amans réconciliés ordonnent à Beroë de congédier Calaïs et de l’envoyer chez Chloë, afin que le souper préparé pour Horace ne soit pas perdu. Cette conclusion, chacun le reconnaîtra sans peine, non-seulement n’ajoute rien à l’intérêt du raccommodement, mais altère d’une façon fâcheuse le caractère poétique de la scène. Les courtisanes, dans l’antiquité grecque et latine, occupaient un rang plus élevé que dans la vie moderne. N’est-ce pas violer le génie de l’antiquité que de mettre une telle conclusion dans la bouche d’Horace et de Lydie ? Conçoit-on que Lydie dispose de Calaïs en faveur de Chloë, qu’Horace dispose de Chloë en faveur de Calaïs ? Les personnages, même absens, soumis à cette condition, deviennent de purs mannequins, et ne méritent pas même d’être discutés. Si Calaïs aime Lydie, il ne se prêtera pas au change ; si Chloë aime Horace, elle ne s’y prêtera pas davantage. Et puis, quel rôle jouent Horace et Lydie dans cette singulière conclusion ? Ils jouent le rôle d’entremetteurs, et ce rôle, que la comédie ne répudie pas, puisqu’il fait partie de la vie réelle, ne doit pas être confié aux personnages sur lesquels le poète veut appeler la sympathie de l’auditoire. Cet épilogue inventé par M. Ponsard dégrade du même coup les personnages présens et les personnages absens. Tout le plaisir