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— Non pas ici, interrompis-je en prêtant l’oreille, car j’entends le sabre et les éperons des gendarmes.

— Venez dehors, nous causerons, dit vivement la Loubette.

Et, rouvrant la porte, elle sortit avec Bérard.

Je me hâtai d’achever mon procès-verbal que je remis au brigadier. Il repartit aussitôt, emmenant Jérôme, qui, bien qu’un peu étourdi par les toasts de condoléance auxquels il avait dû répondre, gardait sa prudence ordinaire, et voulait faire lui-même sa déclaration à l’autorité. Les voisins s’étaient déjà retirés ; je me trouvais seul dans la cabane au moment où la Loubette et le coureur rentrèrent. Tous deux s’étaient mis complètement d’accord. Le coureur, qui se préparait à ensevelir le noyé, venait chercher une bouteille de dur pour combattre le brouillard de la nuit.

Resté seul avec la jeune fille, j’allais l’interroger sur le grand Guillaume, quand je la vis courir à une porte de derrière qu’elle ouvrit avec précaution ; elle avança la tête au dehors, sembla fouiller du regard tout l’enclos, prêta un instant l’oreille, et finit par pousser ce cri plaintif de la chouette, rendu sinistre par tant de sanglans souvenirs. J’entendis bientôt des pas ; la Loubette disparut un instant, échangea quelques paroles à voix basse, puis rentra avec un jeune paysan que je reconnus au premier coup d’œil pour son frère : c’étaient les mêmes traits, mais avec plus de netteté et de finesse. La physionomie restée confuse chez la sœur s’était, chez le frère, éclaircie et achevée. En les voyant à la fois, on avait, pour ainsi dire, l’ébauche et la statue.

À mon aspect, le jeune Vendéen s’était involontairement arrêté.

— N’ayez pas peur, Guillaume, dit la Loubette, monsieur ne vous veut que du bien, et il est capable de vous donner un bon conseil.

— Il sera reçu en grande révérence, dit le paysan, qui se découvrit.

Je l’assurai de mes bonnes intentions et lui expliquai très brièvement comment j’étais venu pour lui au Petit-Poitou. Il parut faire effort pour m’écouter ; mais ses yeux, qui allaient d’un objet à l’autre, trahissaient sa distraction. Je m’interrompis brusquement.

— Pardon, excuse, monsieur, dit Guillaume, qui parut craindre de m’avoir blessé ; mais voilà si long-temps que j’étais pas entré ici, que, malgré moi, je regarde si tout est à son ancienne place. Vous savez, on aime les endroits qu’on a connus tout petit, surtout quand on revient… et qu’il faut repartir, car on ne doit plus me voir par ici, maintenant qu’on va me croire au cimetière

Je voulus lui faire entrevoir les sérieuses conséquences de cette ruse, qui, en le rangeant parmi les morts, lui enlevait son nom, ses droits et toute possibilité de retour au pays ; mais, à ce dernier mot, il m’interrompit.

— C’est ce qu’il faut ! dit-il vivement ; tant qu’il y aurait eu moyen