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Goujon, si heureusement doué à tant d’autres égards, mais formé surtout à l’école florentine, habitué à voir dans l’antiquité païenne une révélation séduisante du génie humain plutôt qu’un enseignement austère, ne s’est pas préoccupé un seul instant de la différence dont je parlais tout à l’heure. Il a saisi et reproduit sans scrupule le mouvement que lui offrait le modèle ; il ne s’est pas demandé si ce mouvement était avoué par le goût. En consultant ses souvenirs, il a trouvé dans l’école florentine plus d’un exemple qui justifiait le parti auquel il venait de s’arrêter, et il s’est mis à l’œuvre en pleine sécurité. S’il eût écouté les conseils d’Athènes au lieu des conseils de Florence, la Diane que nous admirons si justement serait bien plus admirable encore. L’harmonie linéaire ajouterait un prix nouveau à tous les mérites qui la recommandent. La pureté du style donnerait une splendeur nouvelle à cette œuvre gracieuse.

La Diane qui nous occupe mérite une attention d’autant plus sérieuse qu’elle résume vraiment tous les défauts et toutes les qualités de l’auteur. L’étude complète de la Diane, poursuivie avec persévérance, permet de juger sans peine tous les autres ouvrages de Jean Goujon ; c’est pourquoi je ne crains pas de lasser la patience du lecteur en examinant la Diane sous toutes ses faces. Cet examen ne pourra sembler puéril qu’aux esprits qui professent une répugnance obstinée pour toute idée sérieuse ; tous ceux au contraire qui voient dans la beauté, prise en elle-même et dans ses manifestations diverses, un digne sujet de méditation suivront sans effort et sans ennui l’analyse de cette œuvre capitale. Je ne veux pas choisir dans l’antiquité un terme de comparaison ; il serait trop facile, en effet, de condamner la Diane de Jean Goujon en prenant pour règle suprême la Vénus de Milo. Cet incomparable morceau, que la France possède depuis trente ans, qu’il appartienne au ciseau de Phidias ou de Praxitèle, de Lysippe ou de Scopas, réunit dans une harmonieuse unité tant de qualités précieuses, dont chacune suffirait à la gloire d’un statuaire, qu’il serait injuste d’estimer l’œuvre de l’artiste français d’après ce modèle, au lieu de l’estimer en elle-même, c’est-à-dire en ne consultant que la nature, qui sans doute n’est pas le but suprême de l’art, mais que l’art cependant doit toujours accepter comme point de départ. Toutes les Vénus qui décorent les musées d’Europe, depuis la Vénus de Médicis, placée dans la tribune de Florence, jusqu’à la Vénus du Capitole, jusqu’à la Vénus d’Arles, ne sont, à proprement parler, que des œuvres secondaires, si on les compare à la Vénus de Milo. J’oublie donc un instant, je voile cette admirable figure pour étudier d’un œil impartial la Diane de Jean Goujon. J’ai dit ce que je pense de la tête et je n’ai pas à y revenir. Quant au corps, il peut donner lieu à des observations caractéristiques. La distance qui sépare les deux mamelles me