Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partout la même richesse, la même ampleur, la même puissance, et en même temps toujours et partout la même grace, la même élégance. L’âge donné par Jean Goujon à ces figures est choisi avec une remarquable sagacité : c’est celui d’une jeune mère qui a porté dans ses flancs robustes le premier fruit d’une féconde union ; c’est à cet âge, en effet, que la femme exprime le mieux l’alliance de la force et de la grace. Les épaules, les mamelles et les hanches s’accordent merveilleusement, et traduisent avec une incomparable netteté le type conçu par l’imagination de l’auteur. L’espace compris entre la hanche et le genou est marqué par une courbe dont le sens et la valeur frappent tous les yeux exercés. Il y a dans cette ligne si habilement, si vigoureusement tracée, un signe évident de force et de fécondité. Il est difficile de se méprendre sur la signification de cette courbe puissante. La manière dont la cuisse est modelée n’indique pas moins clairement l’énergie que le statuaire a voulu donner à chacune de ces figures.

Pourquoi Jean Goujon n’a-t-il pas complété ces admirables caryatides ? Pourquoi les bras sont-ils coupés à quelques pouces de l’épaule ? L’artiste a-t-il voulu modeler plus librement et mieux montrer dans toute sa splendeur, dans toute sa richesse, le torse de chaque figure ? Il est possible qu’il ait obéi à cette pensée. Je ne vois guère, en effet, quel autre motif il serait permis d’assigner à cette mutilation volontaire. Quelle que soit la valeur de mes conjectures, je n’approuve pas le parti auquel Jean Goujon s’est arrêté. Si l’absence des bras lui a laissé, en effet, plus de liberté pour modeler et pour montrer le torse de chaque figure, il n’est pas moins vrai que cette mutilation ne s’accorde pas avec le rôle attribué aux caryatides. Le spectateur ne peut oublier que ces figures remplissent l’office de colonnes. Or, un tel office peut-il être rempli par des figures mutilées ? Pour ma part, je ne le pense pas. J’aimerais à voir les bras fièrement croisés sur la poitrine ou solidement appuyés sur les hanches, selon le poids du fardeau. Comme la tribune de la salle des Cent-Suisses n’est qu’un fardeau léger pour des caryatides de douze pieds, la raison et le goût conseillaient au statuaire de croiser les bras sur la poitrine. Lors même que L’histoire fournirait quelques exemples de pareilles mutilations, ces exemples ne changeraient pas ma conviction.

Les draperies de ces caryatides sont conçues dans un style excellent ; elles enveloppent la figure sans jamais voiler la forme. C’est ainsi que l’art grec a toujours compris les draperies, et c’est aux yeux du bon sens la seule manière de les comprendre. Toute draperie, en effet, qui n’est pas conçue d’après cette donnée viole les conditions fondamentales de la statuaire. Comme la première de ces conditions est l’expression de la forme, toute draperie qui masque la forme en l’enveloppant est répudiée par le goût. Jean Goujon, en modelant ses